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Revue sociale, ou Solution pacifique du problème du prolétariat. Boussac :  P. Leroux, 1845-1850. ISSN 2021-1066.

N°3: Décembre 1845 :

. Correspondance parisiennes par T..

. Réponse à l’école fouriériste ( Pierre Leroux)

. Du mot Humanité de Adolphe Berthault

. Histoire de la vie ouvrière par Robert du Var par Luc Desages

. ART préface d'un roman inédit par Georges Sand

. Chronique des frères Bardiera

. Novembre 1831 : les canuts

. Presse Les Écoles fondée par 80 étudiants par Émile Aucante

. La presse vendue au capital : par Henry

.1 -  Correspondance parisiennes par T..

Ou l'auteur fustige autant une presse de pacotille que la cupidité de l'individualisme dans toutes les classes sociales....

" Heureux bohémiens que nous pourrions être, nous autres qui ne désirons rien en propre au-delà des libertés de l'âme et des nécessités de la vie ! "

" Hélas! il serait aussi facile de faire cles rails de chemin de fer avec des serpents, comme disent les Américains, que d'instituer l'égalité dans le monde actuel. " 

" Le temps est rude et les pauvres vont mourir de faim cet hiver."

" Le théâtre cependant nous a offert deux pièces qui touchent aux questions vivantes: Marie-Jeanne, une femme du peuple représentée par madame Dorval, et le Saint-Genest de Rotrou, joué par Bocage à l'Odéon. Avant la première représentation de Marie-Jeanne, on demandait à madame Dorval ce qu'était cette pièce. «Je n'en sais rien, dit-elle. J'ai un enfant, on me l'ôte : voilà tout." En effet, la pauvre Marie-Jeanne est forcée de mettre son nouveau-né dans le tronc des enfants-trouvés; et quand elle voil disparaître son enfant, elle pousse un cri sublime. Vous pensez si le public prolétaire du boulevard a sympathisé avec ces fatalités de la misère.

C'est une bonne idée d'avoir exhumé le Saint-Genest de Rotrou, Il n'y a guère de pièce plus révolutionnaire que celle-là. Genest, l'acteur payen, représente la conversion d' Adrien devant le César et sa cour. Au plus beau moment du rôle, tout-à-coup Genest lui-même se sent métamorphosé par le Christianisme, et il se met à confesser sa foi, et à glorifier le nouveau Dieu. César, comme de juste, fait son rôle de conservateur des anciens Dieux, et envoie le néophyte au martyre. Le style de Rotrou est digne de Corneille. Sa pièce , mal construite, abonde en vers magnifiques, comme celuici, à propos des jeunes chrétiens moissonnés: "Ces fruits à peine éclos, déjà mûrs pour les cieux. " La pensée de Rotrou est bien en harmonie avec ce beau langage. On  y trouve des sentiments qui sont dictés par un vif amour du peuple et de la justice; par exemple à propos des biens matériels, "Dont on est possédé plutôt que possesseur ". L'opposition de la religion nouvelle, pleine d'enthousiasme et de lumière, avec l'obstination stupide de l'ancienne puissance romaine, est admirable dans la pièce du vieux Rotrou. Aucun critique n'a songé à en faire une application aux luttes religieuses et politiques de notre temps. Nos César sont pourtant les mêmes qu'autrefois, et la religion de l'avenir est encore martyre."

.2 -  Réponse à l’école fouriériste ( Pierre Leroux)

Nous avons entamé deux sujets différents, bien qué liés par un intime rapport, dans les premières livraisons de cette Revue , et nous nous proposions de continuer paisiblement aujourd'hui à traiter l'un ou l'autre; mais l'Ecole Fouriériste nous enlève la place qu'exigerait la continuation de ces articles, en nous forçant à lui répondre.

La Démocratie pacifique a publié; dans son numéro du 1 er dé-cembre, un article consacré à la Revue Sociale .. et signé des lettres E. S. Nous ne connaissons pas l'auteur caché sous ces initiales ; car nous ne croirions pas volontiers que ces pages soient sorties de la plume d'un romancier distingué qui enrichit quelquefois de ses œuvres le feuilleton de ce journal. Quel qu'il soit, l'auteur de cet article commence par louer nos intentions et approuver nos anciens travaux. Mais ces éloges sont assurément peu sincères; car après avoir fait de fort mauvais raisonnements contre le principe de l'égalité humaine, qu'il traite d'absurde fétiche, d'abstraction morte, de mot vide de sens, de mot qui ne peut pas servir de terme de ralliement aux socialistes rationnels par la raison toute simple qu'il ne représente pas une idée .. etc, etc., etc. , . il finit par conclure en nous déclarant fourvoyé .. tourmenté d un besoin funeste de dogmatiser_, atteint d'égotisme intellectuel, faussé  dans notre esprit d'investigation, livré a de stériles abstractions, hors de notre sphère .. etc., etc., etc., le tout pour avoir ESSAYÉ D'ÉCHAPPER A L'INFLUENCE DES PRINCIPES SUPÉRIEURS DE LA SCIENCE SOCIALE, c'est-à-dire du FOURIÉRISME.

Le crime qu'on nous reproche, c'est de n'avoir jamais examiné l' œuvre de Fourier. Nous nous souvenons pourtant fort bien qu'étant directeur de la Revue Encyclopédique, il y a une quinzaine d'années, nous avons, de concert avec nos amis,  J. Reynaud et Hippolyte Carnot, admis dans ce recueil, par un motif d'impartialité , la 'meilleure exposition qui ait été faite par aucun des disciples de Ch. Fourier de son procédé d'association, et qu'à cette occasion nous eûmes, nos collaborateurs et nous, à nous expliquer sur le système de Fourier. Deux notes rédigées de concert par les directeurs de cette Revue parurent dans ce recueil. La première, intitulée De l'unité de la Revue Encyclopédique, contenait une profession de foi  et une exposition de principes auxquels nous n'avons pas failli; elle contenait en même temps un exposé des motifs qùi nous faisaient repousser les doctrines de M. Fourier. Cette note fut suivie d'une autre, provoquée par les réclamations de Fourier et de ceux de ses disciples qui rédigeaient avec lui le Phalanstère. Nous n'avons pas trouvé qu'on ait répondu un peu rigoureusement aux observations de la Revue Encyclopédique., et il nous paraît utile, même après quinze ans, de les reproduire. C'est ce que nous allons faire, du moins en partie; car , forcé, par le défaut d'espace, de ne donner qu'un fragment, nous choisirons de préférence les pages où Fourier, cité textuellement, se réfute pour ainsi par lui-même.

Que les doctrines cosmogoniques de Fourier soient complétement étrangères à l'esprit scientifique, c'est ce qui résulte de ce qu'elles ne sont pas basées sur l'observation des faits, mais déduites d'un principe général arbitrairement posé. Que cette méthode le conduise à des aberrations que la plupart jugeront singulières, c'est ce qu'il nous sera si aisé de montrer, que nous devons à peine nous excuser d'avoir, dans notre précédent article, attribué aux futurs habitants de la terre ce que Fourier atlribue aux futurs habitants du soleil....

Leroux critique ensuite la manière dont Fourier entend l'analogie universelle quant à l'organisation sociale, surtout quant "aux tribus d'enfants organisées hiérarchiquement selon les pétales et les phalanges " ...et Leroux critique encore "l'analogie des créations planétaires et générations organiques " du " Traité de l'Association " de Fourier, jusqu'encore : " Veut-on savoir comment nos désordres terrestres entravent les fonctions attribuées au soleil ?  Fourier nous apprend que cette suspension dans la création tient à ce que notre globe ne verse pas son contingent en arôme fécondant (Traité de l'Association, tom. 1 , pag. 532)...

Nous nous arrêtons là, et n'entrons point dans le détail de cet océan de limonade que doit former l'aurore boréale, en se condensant . autour du pôle, et en projetant une énorme quantité d'acide citrique; nous allons seulement montrer que Fourier marche avec tout autant de sérieux et d'assurance dans ses créations animales que dans ses créations astronomiques (Traité del' Association, -pag. 528) :

Les doctrines historiques de Fourier, étant analogues en tous points à ses doctrines cosmogoniques, ne sont pas soutenues par une étude plus approfondie et plus sérieuse des opinions et des faits. Quant à ce que nous avons dit, que Fourier renonce à la tradition du passé en le réprouvant tout entier, c'est ce qui ressort avec la dernière évidence de ses emportements contre les philosophes, dont les travaux sont à nos yeux le plus bel héritage du passé, et de ses déclamations contre cette civilisation qui ausi imparfaite qu'elle soit, est cependant comme le résumé et le symbole du passé tout entier. Ne voulant pas allonger nos citations de ces phrases lourdes et grossières adressées à tant de grands hommes, nous renvoyons au journal le Phalanstere, qui nous donnera pleine raison. Nous nous contentons de quelques lignes empruntées aux prolégomènes ( Traite de l' Association, tom. 1 , pag. 96 ) : «Il n'est que trop vrai : depuis vingt-cinq siècles qu'existent les sciences politiques et morales, elles n'ont rien fait pour le bonheur de l'humanité; elles n'ont servi qu'à -augmenter la malice humaine en raison du rallinement scientifique, à reproduire l'indigence, les perfidies et tous les fléaux sous diverses formes, etc. » 

Leroux renvoie donc dos à dos, tant la cosmogonie et l'organisation sociale quasi-pataphysique de Fourrier que sa vision tabula rasa du passé, tenant à inscrire l'authentique de l'Association tant dans la Tradition que sur les faits terrestres, politiques , sociaux et scientifiques.

Il en résulte que l'on se tromperait étrangement en pensant qu' il est permis de faire des œures de M. Fourrier ce qu'on fait d' un recueil de poésies, dans lequel on peut cueillir ou laisser suivant sa fantaisie. Par conséquent aussi, il est vrai de dire que les personnes qui à un titre ou à un autre, .se croiraient fondées à se réunir autour de Fourier, en déclarant accepter seulement telles ou telles parties de ses doctrines et de ses théories, ne pourraient agir ainsi que par suite d'une erreur profonde sur la valeur et l'enchainement des idées. Car ou les fragments d'opinions gu'elles adoptent sont sans base et par conséquent sans solidité, ou ils se rattachent au principe fondamental et par conséquent aussi à tout le reste. Quant à nous, nous devons déclarer que si nous eucourageons l essai. d association que veut tenter la société constituée par M Fourier, c' est que nous voyons bien plutôt, dans l'intention des actionnaires, une application de l'attraction industrielle, qu'une application de la théorie universelle, ou même de la théorie passionnelle. Nons sommes convaincus que le phalainstère, pour la nécessité de sa, conservation, serait incessamment obligé de devier de la ligne, théorique , pour finir par se rapprocher plus ou moins des sociétes coopératives de l'Angleterre.

Près de quinze ans se sont passés depuis la publication de cette Note; et les destinies de l'Ecole Fouriériste ( pour employer une expression chère à cette école) ont confirme la vérité de nos conclusions. L'essai de colonisation de Conde-sur-Vesgrès a-t-il eu quelque résultat! Cependant Fourier lui-même y présidant. La tentative de Cîteaux a-t-elle réussi? Certes, ce n'est pas le capital qui a manqué, ce n'est pas non plus le talent, et quant au travail, ,ce troisième terme de la formule économique du Foutiérisme, Il s est offert de lui-même. Comment se fait-il donc que le capital, le talent, et le travail, n'aient pu s'harmoniser, alors que Ia science de l'harmonie, la science de l'organisation, la sciene de l' association , la science sociétaire, comme dit cette école, était trouvée, exposée, et vulgarisée! Ne serait-ce pas que la formule économique est aussi fausse que tout le reste? . , . Depuis ces quinze ans, quelques hommes d'un vrai mérite ont touché au Fouriérisme, ou même ont donné tête baissee dans le Fouriérisme, puis s'en sont éloignés un peu confus, comme dit la fable, jurant, mais un peu tard, qu'on ne les y prendrait plus. Nous citerons, entre autres, M Transon, ,ViIlegardelle, Proudhon · nous citerons aussi M de Pompery, qui, par la seule publication d'un nouveau journal intitulé L' Humanité, dont l? spécimen vient de paraître, montre assez que, s'il persiste à se dire _disciple de Fourier, il entend du moins la doctrine d une façon qui lui est propre, et qui le force à s'isoler du reste de l' école ; chose étrange, quand il s'agit d'une doctrine. que son auteur a développée dans des écrits aussi étendus, aussi minutieux, aussi prolixes. (...) 

Du haut de son système intégral, Fourier a pu prendre en dédain tous les hommes qui l'avait précédé sur la terre, y compris Newton lui-même; il a pu (ce qui est malheureusement trop vrai pour sa mémoire, et ce qu'il faut lui pardonner) poursuivre des invectives les plus brutales tous les philosophes, tous les hommes religieux qui, en comprimant les passions au nom de l'idéal, avaient, disait-il, empêché l'essor passionnel et la réalisation des destinées. Mais son école, qui, comme il nous serait facile de le prouver, a abandonné ses stricts principes jusqu'à n'avoir plus de commun avec lui qu'un certain désordre dans l'imagination, son école qui, empruntant depuis dix ans ce que d'autres élaborent, n'a fait autre chose que souder, par un incohérent synchrétisme, les idées vivantes et fécondes de la démocratie sur le matérialisme le plus répugnant, ne saurait procéder tout-à-fait avec la même hauteur que lui. Elle y met plus de réserve ou plus d'habileté; et voilà pourquoi elle nous accable d'éloges, et nous perce en même temps de ses traits les plus aigus, nous déclarant égotiste, fourvoyé, hors de notre sphère natutelle, livré à· de stériles abstractions, faute d'avoir pénétré l' œuvre du plus grand des socialistes dans toutes ses profondeurs. Peut-être essaierons-nous, en effet, de pénétrer un jour dans toutes ces profondeurs !....

Leroux se moque de Fourier et de ses élucubrations, désordre de l'imagination et syncrétisme, tout en référant à Newton les déviances d'une idolatrie universelle sur la Loi d'attraction, caricaturalement montrée jusque l'absurde chez Fourier : encore, Leroux s'appuie sur l'expérience concrétement échouée du phalanstère jusque aux hommes qui ont abandonné les croyances de Fourrier, qui n'a pas manqué d'argent : cette critique en règle et aussi amusante qu'amusée de Fourier par Leorux, se donnant 15 ans après la démonstrative, quant l'expérience alors de Boussac, d'un laboratoire intellectuel du Socialisme à la ferme auto-gérée, se réalise, sans bcp d'argent, et sera, elle, un autre vrai succès jusque dans la révolution de février 1848...

.3 -  Du mot Humanité de Adolphe Berthault

L'auteur du livre DE L'HUMANITÉ (page 256 de la première édition) a dit:

" L'HUMANITÉ EST UN ETRE IDEAL, COMPOSÉ D'UNE MULTITUDE D'ETRES RÉELS, QUI SONT EUX-MEMES L'HUMANITÉ EN GERME, L'HUMANITÉ A L'ÉTAT VIRTUEL ; ET, RÉCIPROQUEMENT,  L'HOMME EST UN ETRE RÉEL, DANS LEQUEL VIT, A L'ÉTAT VIRTUEL, L'ETRE IDÉAL APPELLE HUMANITÉ. L'HOMME EST L'HUMANITÉ DANS UNE MANIFESTATION PARTICULIÈRE ET ACTUELLE.»

Cette définition de l'Humanité nous paraît renfermer le germe et Je fond principal de cette religion de l'avenir que tous les penseurs un peu profonds, depuis un demi-siècle, nous annoncent comme devant régénérer la société, et qu'ils appellent de tous leurs vœux. Nous allons essayer d'expliquer le plus clairement qu'il nous sera possible, tout en nous renfermant dans d'étroites fünites, cette définition , sur laquelle nous fondons les plus belles espérances.

L'auteur s'appuie alors sur la triple définition des modes de Connaissance Humaine entre perception, sentiment et raison -connaissance pour démontrer la définition ci-dessus.

4- . Histoire de la vie ouvrière par Robert du Var par Luc Desages

" Jusqu'ici notre ami, M. Robert (du Var) s'était livré à des travaux de métaphysique pure. Dans une revue mensuelle, la Democratie et dans un autre ouvrage, les Eléments de philosophie sociale .. il avait cherché à répandre la doctrine du livre De l' Humanité, et à la rendre populaire. Aujourd'hui M. Robert (du Var) est historien, il écrit l'histoire des travailleurs, et il nous apprend lui-même les motifs qui l'ont engagé dans cette voie :  «La difîusion toujours croissante des lumières, dit-il, en éveillant le sentiment de la justice dans les âmes les plus desséchées, fait comprendre de jour en jour tout ce qu'a de pénible, de. douloureux, la situation des classes laborieuses. Dieu merci! on n'ose plus s'étonner que ceux qui produisent tant et qui consomment si peu, revendiquent, par tous les moyens possibles, l'amélioration de leur destinée. Ce sentiment universel est, pour tout  homme qui pense, une véritlable prophétie. Il est le garant solennel du prochain affranchissement des travailleurs. En présence d'un pareil fait , l'histoire des classes ouvrières sort nécessairement des entrailles de notre époque. Le moment est venu. "

" L'œuvre entreprise par M. Robert (du Var) est importante, elle se lie à l'histoire même de l'Humanité; mais nous sommes heureux de voir cette œuvre abordée par un esprit philosophique. Point d'histoire lumineuse, selon nous, sans une métaphysique, sans une psychologie. Certes, il peut être utile de raconter les faits dans tous leurs détails, en cherchant les aperçus ingénieux, les distinctions subtiles, ou en s'inquiétant surtout de pénétrer les arcanes de la diplomatie. Mais ce qui vaut mieux encore, c'est écrire philosophiquement l'histoire, trouver la cause génératrice des faits dans la loi de développement de l'Humanité, et la clef de cette même loi dans une connaissance approfondie de l'homme. Que vous vous occupiez d'histoire générale, ou que vous racontiez la vie cl'un peuple ou d'une classe d'hommes en particulier, la lumière philosophique vous est nécessaire pour éclairer les origines, qui sans cela vous paraîtront toujours obscures. C'est ce que devait comprendre M. Robert (du Var). Aussi, n'entret-il pas dans la narration dès le début de son livre. L'histoire complète de la classe ouvrière comprend l'histoire même de l'esclavage ;  les ouvriers de l'antiquité ce sont des esrJaves. Un problème se pose donc tout d'abord en face de l'historien : Quelle est l'origine de l'esclavage? A quelle époque se montre-t-il clans la vie de l'Humanité? "

Après avoir décvrit les formes d'esclavages dans les pays, les villes et cités et ou familles, l'auteur écritPrenez leurs philosophes, prenez Aristote et Platon. Aristote,. lui, fait cet étrange raisonnement : « Un homme est esclave, dit-il, ,, parce qu'il ressemble à la brute; il faut bien qu'il soit brute , celui qui peut être esclave. " Aristote est l'homme du fait égoiste; en fait, l'esclavage lui paraît une chose fort avantageuse, donc il est légitime. Platon, aussi, est conduit à admettre l'esclavage comme naturel. Platon se trompe, mais il se trompe en poursuivant l'idéal d'une Républqiue. Ce qui manquait à Platon, c'est la connaissance de cette vérité exprimée dans la Bible: «Dieu a créé tout homme à son image, " car alors il eût senti que les hommes sont semblables. Pour Platon, les hommes sont frères, et toutefois, pour lui, les uns sont toute intelligence, d'autres tout sentiment, d' autres enfin toute sensation, et ces derniers sont les infimes et les misérables, ils sont condamnés à la subjection dès le ventre de leur mère. Platon répète l'Inde et l'Egypte dans sa République, il crée la famille caste ; en vain ensuite fait-il un effort immense pour sortir de la division, pour reformer l'unité par la communauté des biens et des femmes, il tombe dans un mal plus grand sans éviter le premier..."

En résumé, avec les castes de race, tout se fait en considération d'une race d'hommes et par le moyen d'une autre race d'hommes subalternisée; avec les castes de patrie tout se fait en considération d'un homme citoyen, et par le moyen d'un autre homme esclave; avec les castes de propriété, tout se fait en considération de la propriété, et indirectement par l'homme; et trois modes d'esclavage correspondent à ces trois sortes de castes. Nous avons vu les deux premiers modes; le troisième se présentera avec cette physionomie, non d'un homme asservi immédiatement à un autre homme, mais d'un homme asservi à la terre , attaché à la glèbe , comme on dit & ou à des instruments de travail, serf ou prolétaire."

 

5 - . ART : préface d'un roman inédit : par Georges Sand

" Ce quatrain en vieux français, placé au-dessous d'une composition d'Holbein, est d'une tristesse profonde dans sa naïveté. La gravure représente un laboureur conduisant sa charrue au milieu d un champ. Une vaste campagne s'étend au loin, parsemée de pauvres cabanes. Le soleil se couche derrière la colline. C'est la fin dune rude journée de travail: Le paysan est vieux, trapu, couvert de hailions. L'attelage de quatre chevaux qu'il pousse en avant est maigre , exténué ; le soc s'enfonce dans une terre raboteuse et rebelle. Un seul être est allègre et ingambe dans cette scène de sueur et usaige: C'est un personnage fantastique, un squelette arme d'un fouet, qui court dans le sillon à côté des chevaux effrayés, et les frappe, servant ainsi de valet de charrue au vieux laboureur. C'est la mort, ce spectre qu'Holbein a introduit allégoriquement dans la succession des sujets philosophiques et religieux, à la fois lugubres et bouffons, intitulés Les simulachres de La mort. Dans cette collection, ou plutôt dans cette vaste composition , où la mort jouant son rôle à toutes les pages' est le .lien et la pensée dominante, Holbein a fait comparaître les souverains, les pontifes, les amants, les joueurs, les ivrognes, les nonnes, les courtisanes, les brigands, les pauvres, les guerriers, les moines, les juifs, les voyageurs, tout le monde de son temps et du nôtre ; et partout le spectre de la mort rit, menace, et triomphe. Dans un seul tableau elle est absente. C'est dans celui où le pauvre Lazare, couché sur son fumier à la porte du riche, déclare qu'il ne la craint pas, sans doute parce qu'il n'a rien à perdre, et que sa vie est une mort anticipée.

(...) Albert Durer, Michel-Ange, Holbein, Callot, Goya, ont fait de puissantes satires des maux de leur siècle et de leur pays. Ce sont des œuvres immortelles, des pages historiques d'une valeur incontestable. Nous ne voulons donc pas dénier aux artistes le droit de sonder les plaies de la société et de les mettre à nu sous nos yeux. mais n'y a-t-il pas autre chose à faire maintenant que de la peinture d'épouvante et de menace?

Dans cette littérature de mystères d'iniquité que le talent et l'imagination ont mise à la mode, nom aimons mieux les figures douces et suaves que les scélérats à elfe dramatique. Celles-là peuvent entreprendre et amener des conversions : les autres font peur, et la peur ne guérit pas de l'égoïsme , elle l'augmente. Nous croyons que la mission de l'art est une mission de sentiment et d'amour, que le roman d'aujourd'hui devrait remplacer la parabole et l'apologue des temps naïfs, et que l'artiste a une tâche plus large et plus poétique que celle de proposer quelques mesures de prudence et de conciliation pour atténuer l'effroi qu'inspirent ses peintures. Son but devrait être de faire aimer les objets de sa sollicitude ; et , au besoin, je ne lui ferais pas un reproche de les embellir un peu. L'art n'est pas une étude de la réalité positive, c'est une recherche de la vérité idéale; et le Vicaire de Wakefield est un livre plus utile et plus sain à l'âme qua le Paysan perverti ou les Liaisons dangereuses."

• Mes pensées avaient pris  ce tours : tandis qe je marchais jusque la lisière d'un champ que des paysans étaient en train de préparer ponr la semaille prochaine. L'arène était vaste, le paysage était vaste aussi, et encadrait, de grandes haies , de verdure rougie par les atteintes de l'automne, ce large terram d un brun vigoureux, ou des pluies récentes avaient laissé, dans quelques sillons, des lignes d'eau que le soleil faisait briller comme de minces filets d'argent. La journée était claire et tiède, et la terre, fraîchement ouverte par le tranchant des charrues exhalait une vapeur legère. Dans le haut du champ, un vieillard, dont le dos large et la figure sévére rappelaient celui d'Holbein, poussait gravement son arreau de forme antique, traîné par deux bœufs tranquilles, à la robe d'un jaune pâle, véritables patriarches de la prairie, haurs de taille, un peu  maigres, avec des cornes longues et rabattues; de ces vieux travailleurs qu'une longue habitude à rendus frères, et qui, privés l'un de l'autre, grattent la terre en silence, flairent avec effroi le joug et les chaines que leur compagnon a portés. refusent la nouriture, et se laissent mourir.

Le vieux laboureur travaillait lentement, sans efforts inutiles. Son docile attelage ne se pressait pas plus que lui. Mais, grâce à la continuité d'un labeur sans distraction et d'une dépense de forces éprouvées et soutenues, son sillon était aussi vite creusé que celui de son fils occupé en peu plus Ioin. Mais ce qui attira ensuite mon attention était véritablement un beau spectacle, un noble sujet pour un peintre.

Au bout de la plaine labourable, un jeune homme d'une noble apparence conduisant un attelage magnifique, quatre paires de jeunes animaux à la robe sombre mêlée de noir et de reflets de feu, ,avec ces têtes courtes et frisées qui sentent encore le taureau sauvage, ces gros yeux farouches, ces mouvements brusques, ce travail nerveux et saccade qui s'irrite du joug et de l'aiguillon, et n'obéit qu'en tremblant de colére à la domination nouvellement imposée. L'homme qui les gouvernait avait à défricher un coin longtemps abandonné au pâturage, et rempli des souches séculaires de l'épine blanche et du prunier sauvage: travail d'athlète auquel suffisaient à peine son énergie, sa jeunesse, et ses huit animaux quasi in- domptés. Un bel enfant de six à sept ans, les épaules couvertes d'une peau d'agneau, qui le faisait ressembler au petit Saint-Jean-Baptiste des peintres Italiens marchait dans le sillon parallèle à la charrue, et piquait le flanc des bœufs avec une gaule légère, armée d'un aiguillon peu acéré. Les fiers animaux frémissaient sous la petite main de l'enfant, et faisaient grincer les jougs et les courroies liées a leurs fronts, en imprimant au timon de violentes secousses. Lorsqu'une racine arrêtait le soc, irrités par cette résistance, Ils bondissaient, creusaient la terre de leurs larges pieds fourchus, et se seraient jetés de côté, emportant I'arreau à travers champs, si de la voix et de l'aiguillon, le jeune homme n'eût maintenu les quatre. premiers, tandis que l'enfant gouvernait les quatre autres. Il criait et gourmandait, lui aussi, le pauvret, d'une voix qu'il voulait rendre terrible, et qui restait douce comme sa figure angélique. Tout cela était beau de force ou de grâce , le paysage, l'homme, l'enfant, les taureaux sous le joug ; et malgré cette lutte puissante où la brute vaincue arrivait à vaincre aussi la terre, il y avait chez l'homme une expression de douceur et de calme profond. Quand l'obstacle était surmonté, et que l'attelage reprenait sa marche égale et ferme, le laboureur, dont la feinte violence n'était qu'un exercice de vigueur et une dépense d'activité, reprenait tout-à-coup la sincérité d'une âme simple, et jetait un regard de contentement paternel sur son enfant , qui se retournait pour lui sourire. Puis la voix mâle de ce jeune père de famille entonnait le chant solennel et mélancolique que l'antique tradition transmet aux plus habiles laboureurs comme un héritage sacré.(...)

« Ô heureux l'homme des champs s'il connaissait son bonheur ! »

Eh bien ! tel qu'il est, incomplet et destiné à. vivre dans une continuelle enfance , il est encore plus beau que celui chez qui la science a étouffé le sentiment. Ne vous élevez pas au-dessus de lui, vous autres qui vous croyez investis du droit légitime et imprescriptible de le commander et de l'exploiter; car cette erreur effroyable où vous êtes prouve que votre esprit a tué votre cœur, et que vous êtes les plus incomplets et les plus aveugles des hommes. J'aime mieux cette simplicité de son âme que les fausses chimères de la votre; et j'aurais plus de plaisir à en faire ressortir les côtés doux et touchants, que vous n'avez de mérite à peindre l'abjection où les rigueurs et les mépris de vos préceptes sociaux l'ont trop souvent réduit."

6 - . Chronique des frères Bardiera

Ce qui nous paraît ici le plus digne de remarque, c'est l'invasion du sentiment religieux dans les idées politiques. Le libéralisme de la Restauration n'avait point de croyances. Simple esprit critique, il raisonnait du présent, et agissait sans se soucier d'aucune profession de foi. Ses principaux acteurs devaient déployer le même caractère. Les quatre sergents de la Rochelle meurent fièrement et bravement, mais sans lever leur grande âme ni leurs yeux au ciel. Chez leurs frères d'Italie, c'est autre chose. Derrière les opinions nationales des Bandiera, on entrevoit l'infini. La liberté n'est dans leur pensée qu'une des formes de Dieu. Les frères Bandiera nous représentent les saints d'une nouvelle régénération de l'Humanité. De pareils germes d'action ne tardent pas à mûrir, surtout quand ces germes sont fécondés par le cœur. A la fin de 1843, Attilius avait trouvé une forme à son entreprise. Ma pensée serait, écrivait-il, de me constituer, sur les lieux, condottiere d'une bande politique, de me cacher dans les montagnes, et de combattre là pour notre cause jusqu'à la mort . L'importance matérielle d'un tel acte serait, je le sais, assez faible; mais bien plus forte serait l'importance de l'effet moral. Je porterais l'inquiétude dans l'âme de notre plus puissant oppresseur; je donnerais un éloquent exemple à tous ceux, qui, comme moi, se trouvent liés par des serments absurdes et inadmissibles; et je fortifierais ainsi le confiance des nôtres, incertains surtout par leur manque de foi dans nos propres moyens et par l'idée exagérée qu'ils se font des forces ennemies. »

Ce projet aventureux n'eut pas de suite, ou du moins cette suite fut différée par les événements.

" Le Jour fatal arriva; nous ne changerons rien au récit d'un témoin oculaire. Le 25 juillet, à cinq heures du matin, Attilio et Emilio Bandiera, Nicola Ricciotti, Domenico Moro, Anacarsi Nardi, Giovanni Venerucci, Giacomo Rocca, Domenico Lupatelli, .et Francesco Berti, ancien soldat blanchi dans les batailles de Napoléon,  furent éveillés pour. le grand sommeil. Ils dormaient:  Avertis par le geolier, ils s'habillèrent avec soin et, autant que possible, avec élégance comme s'ils se fussent préparés à une solennité religieuse. un prêtre vint pour les confesser; ils refusèrent doucement son ministère : " Ayant, dirent-ils, pratique la Loi de l' Evangile, et ayant cherché à la propager au prix de notre sang parmi les enfants du Christ, nous espérons être recommandés à Dieu plutot par nos propres mérites que par vos paroles. Prêtre du Redempteur, nous vous exhortons à réserver cette parole evangelique pour precher à nos frères opprimés en Jésus-C.hrist la religion de la liberté et de l'égalité. Cela dit, ils se mirent en marche avec un visage serein, et discoururent entre eux jusqu'au lieu de l'exécution. Atiilio était d'une taille élevée · il avait le front chauve, le visage sérieux, les manières graves. Arrivés au lieu de l'exécution, les soldats firent halte et chargèrent leurs armes. Les condamnés leur recommandèrent d' épargner la tête, faite à l'image de Dieu, quelques spectateurs, peu nombreux mais émus, regardaient le denouement de ce triste drame. Un officer commanda le feu : .les Bardiera et leurs compagnons s'écrièrent:  Vive l'Italie ! et ils tomberent morts ".

7 - . Novembre 1831 : les Canuts

" La TRIBUNE LYONNAISE, revue politique, industrielle et littéraire des travailleurs ( 1) a pour devise : VIVRE EN TRAVAILLANT:, Magnifique devise dont les oisifs peuvent se tire, mais que l avenir inaugurera dans le monde. Car la Loi de l' homme est le travail et l' échange; et le jour approche ou le gain, le profit, ce dernier et ignoble vestige de la ruse et de la conquete, sera consideré du même œil que le vol, dont Il est au fond le synonyme. La redaction de la Tribune Lyonnaise est souvent digne de la noble devise qu'elle a choisie. Nous lisons dans la dernière livraison une page écrite avec cette conscience de l'âme et cette vue lucide de l' intelligence qui font la solide éloquence. Rien n'est chargé dans cette peinture, tout est vrai et simplement dit; c est le cri de la raison •

Quatorze ans se sont écoulés .... qu'a-t-on fait? .. Rien. Les ministères se sont succédé, et la même inertie a régné. Il a fallu dix ans pour qu'un ministre vînt dire gravement à la tribune. : Il y a quelque chose a faire; et depuis cet aveu, qu'a-t-on fait? ... Toujours rien.  Aux plaintes, aux doléances pacifiques des travailleurs, la re- présentation nationale a répondu, par l'organe de son président M. Sauzet, député de Lyon même, que la chambre n'avait pas à s'occuper de procurer de l'ouvrage aux ouvriers. Une enquête a été demandée par cent trente mille citoyens; l'accès de la tribune a été refusé à cette pétition, dont on aurait dû s'occuper toute affaire cessante. »Des coalitions pacifiques ont eu lieu : c'était une discussion entre maîtres et ouvriers, l'ordre public n'était pas troublé. Qu'a fait l'autorité pour concilier les intérêts divergents? ... Elle a mis les soldats à la disposition des maîtres, pour aider à se passer des ouvriers; ensuite elle a fait arrêter quelques-uns de ces derniers, et les a livrés aux tribunaux. La justice a prononcé : sévère pour les ouvriers intelligents qui avaient soutenu le conflit par la voie de la presse et de la discussion, indulgente pour ceux que leur ignorance · ou une brutalité naturelle avaient portés à des voies de fait toujours coupables. Maintenant que va-t-on faire pour prévenir le retour de ces fâcheuses collisions? - Va-t-on convoquer maîtres et ouvriers de chaque profession, en nombre égal, pour discuter les bases d'une or-ganisation nouvelle du travail ?

Non; on s'endormira comme par le passé, et on laissera la question sociale s'agiter de toutes parts, creuser les fondements de la société, jusqu'à ce que cette société s'écroule dans un fracas horrible.  Ainsi l'Eglise romaine, avertie maintes fois de se réformer, de cesser le scandale qu'elle offrait aux peuples mécontents, fière de ses victoires sur les premiers novateurs, s'endormait au soin de la corruption.... jusqu'à ce que LUTHER parut. Et lorsque ce grand ébranlement eut remué le monde, elle ne pensa pas non plus à se téformer. Elle crut vaincre toujours par la force et par le prestige de sa puissance ..... et VOLTAlRE E écrivit. Comme un homme que des cauchemars pénibles ont derangé de son sommeil s'éveille en sursaut, mais bientôt rassuré se rendort, oublieuse du passé, l' Eglise romaine se laissa surprendre par le cataclysme de 89. 

Aujourd'hui la question sociale a remplace la question religieuse, et l'on fait tout pour qu'elle suive les mêmes phases. Ne sait-on pas qu'il faudra tôt ou tard que cette question soit vidée au profit des travailleurs ? Ne vaudrait-il donc pas mieux profiter du calme présent pour préparer une transition nécessaire !

.Et c'est pourquoi, reportant nos regards sur le passé, nous faisons cet appel au souvenir de Novembre, afin que Novembre ne puisse jamais revenir. »

8 - . Presse Les Écoles fondée par 80 étudiants par Émile Aucante

Depuis longtemps nous attendions le mouverment qu! vient de s'opérer dans les écoles.

Notre croyance sur l avenir del Humamté est trop vive, trop profonde, pour que nous ayons pu désespérer de la jeunesse.

Nous qui l'avons connue de plus près que ses détracteurs, nous savions bien qu'enthousiaste et généreuse, elle devait comprendre une nouvelle vie.

Sans cesse on lui jette à la face son immoralité, sa dépravation, comme si la famille et l'université n'avaient pas travaillé toutes deux à produire ces vices qu'on lui reproche, elles qui l'ont possédée tour à tour. Ont-elles rattaché son existence aux lois fondamentales de toute société? Loin de la prémunir, ne lui ont-elles pas inoculé, l'une un égoïsme impie, l'autre un matérialisme grossier? La famille, murée qu'elle est dans la formule sacrilège " Chacun chez soi, chacun pour soi » la famille lui souffle au cœur ses desirs désordonnés de jouissance, ne lui montre à parcourir d'autre vie qu'une vie de sensation, ne fait consister le bonheur que dans la possession des richesses, ne lui révèle d'autre Dieu que l'argent, lui inspire le mépris des classes nécessiteuses, l'initie enfin aux honteuses menées de l'intrigue.

 L'université, de son côté, infuse à ses élèves le contraire de l'éducation, elle altère en eux les sources de la vie morale. Elle fausse leurs facultés naturelles, au lieu d'en poursuivre le développement harmonique. Loin de créer l'homme, elle crée un être personnel, c'est-à-dire l'antagoniste de l'homme.

Peut-il en être autrement? (... ) 

Non ! la jeunesse, même dans sa partie la plus atrophiée, n'est pas entièrement privée de chaleur d'âme, et frappée au cœur sans retour. Sa carrière sera plus fructueuse en bien que celle des hommes qui l'ont précédée. Les plus généreux des membres de cette jeunesse ont donné l'élan; doués d'inspirations fortes vers l'idéal du bien et du beau, ils ont senti qu'il est une éducation qu'ils auraient dû recevoir, et qu'ils n'avaient pourtant pas reçue. Ils ont donc voulu conquérir cette éducation; ils se sont mis laborieusement à l'œuvre; ils interrogent, méditent, entreprennent de s'épurer. Aussi, dès son début, la Revue des Ecoles avait nos sympathies. Les questions qu'elle aborde, la manière dont elle les traite, lui assurent un rang parmi les publications mensuelles les plus sérieuses et les plus intéressantes. C'est une tribune d'où part plus d'un bon enseignement pour les hommes mûrs. Afin de ne point porter un jugement prématuré, nous avons attendu que ses tendances se fussent nettement dessinées. Aujourd'hui nous pouvons sans crainte en rendre compte. Notre intention n'est pas d'entrer dans l'analyse des travaux déjà mis au jour; ceci nous entraînerait trop loin. Nous oous restreindrons à indiquer les traits principaux de son caractère et de son esprit. Les jeunes écrivains qui sont à la tête de cette Revue ont senti qu'il existait un rapport intime, indissoluble, entre toutes les branches de l'activité humaine, et que les emisager fragmentairement c'était se livrer à l'erreur, au désordre, c'était détruire la vie, qui ne consiste que dans l'unité; qu'en un mot c'était entretenir le mal, tandis que la synthèse est l'arche de salut de l'Humamté, la seule puissance inauguratrice du bien et du vrai." (...) 

" Le journal Les Ecoles ne s'arrête pas à la politique pure: il sait mieux utiliser ses forces. Il veut prendre part au grand travail intellectuel qui s'effectue dans la société; et pour cela il se fait socialiste: c'est être bien inspiré."

Nous ne signalerons aucun des arguments que leur inspire le détestable système d'enseignement universitaire. Ce système est depuis longtemps jugé. Nous nous contenterons de reproduire la formule suivante, que nous adoptons sans réserve : " L'éducation est une dette de la part de l'Etat, elle doit donc  être gratuite. » L'éducation es ,de la part du citoyen, un moyen de connaître ses devoirs; elle doit donc être obligatoire; "L'éducation est, pour tous, un acheminement nécessaire à l'unité morale et à la fraternité; elle doit donc être commune. »

Le journal Les Ecoles inscrit sur sa bannière la devise sacrée : Egalite, Fraternite, Liberté; cette devise est aussi la nôtre. Nous venons tendre une main sympathique à la jeunesse qui le dirige. Nos Jugements pourront souvent différer des siens; nos intentions, nos désirs, notre but, seront les mêmes. Nous marcherons ensemble à la conquête du règne de la justice et de la vérité. Nous reprendrons avec elle, nous qui sommes jeunes aussi, l'œuvre immortelle de nos pères de 89; et, unis d'efforts, nous poursuivrons cette œuvre avec zèle et avec ardeur. C'est un devoir qui nous a été transmis, et auquel nous ne faillirons pas. Mais nous agirons par les voies pacifiques, c est-a-dire au moyen de la science fécondée par la sentiment."

9 - . La presse vendue au capital : par Henry

Le débat a continué longtemps. La Presse a soutenu hardiment la thèse de M. Duveyrier, et elle· a même été plus loin! Décidément le mot du siècle sera le mot d'uncertain professeur de philosophie: " Parlez de vertu aux portiers...".

Opposons au triste spectacle de cette presse qui se vend et qui se prostitue le spectacle consolateur de la presse régénératrice. La faiblesse et la grandeur de l'homme ne se montrent jamais mieux que dans les-périodes de fin et de renaissance pareilles à celle où nous sommes. L'homme, aux époques comme la notre, aux époques de dissolution des croyances, est suspendu sur un abîme.

Comme Manfred ou comme Faust, il plane ayant devant lui ou le ciel ou l'enfer. A quelle époque ont paru les saturnales les plus hideuses, à quelle éppque a-t-on vu les représentants de la pensée humaine se vautrer aussi abjects que les compagnons d' Ulysse changés en pourceaux dans l'antre de la volupté?

A l'époque des saints et des martyrs. Toutes les anciennes distinctions qui servaient de base à la société, et qui constituaient son ordre régulier, ont disparu aux yeux des hommes ; la société n'est plus qu'un chaos où rien n'est démêlé. Allez donc chercher dans cette société ce rouage de l'honneur dont Montesquieu faisait le r·rincipe de la monarchie! Nous ne trouvons donc pas étonnant qu'une partie de la presse se vende au capital. Mais l'influence de cette presse ne survivra pas àsa prostitution. Elle passera, cette presse, aurangdeschosesmécaniques et matérielles; elle servira de porte-voix, comme le télégraphe électrique ; elle se classera parmi les denrées commerciales, et on la supposera toujours frelatée comme tout ce qui est livré à la cupidité du négoce.

L'INITIATEUR.

L'initiateur n'est d'aucun Parti..,. Son parti est celui de l'Humanité ; sa religion et sa philosophie, l'amour de Dieu et des  hommes et son pays, le monde entier. Sa paroIe s'adresse à tous, à l'instar de la lumière du jour; son cœur ,se dilate pour tous,, comme s'épanouit la fleur des champs. » C est pourquoi Il espère des puissants de ce monde qu'ils lui permettront de dire à ses frères ce que le ciel lui inspire pour le bonheur de tous. - Ils permettent bien aux ruisseaux de couler aux brises des mers de rafraîchir la terre, à l'éclair de briller, au tonerre de gronder, aux oiseaux de chanter: pourquoi ne permettraient-ils pas à l'homme de joindre sa voix au concert de la nature ? Quoi ! les éléments. et les animaux sont libres de glorifier et de prier Dieu à leur manière, et l'homme, doué d'une intelligence sublime d'un cœur aimant, d'une âme immortelle; l'homme,. le roi de la terre, et le plus capable de comprendre, d'aimer et de glorifier Dieu, l homme ne serait pas libre de dire toute sa pensée ! Un commissaire de police aurait le droit de venir sommer la pensée humaine de ne point se malnifester ? Ainsi gu'il somme un attroupement de se disperser; comme si l' intelligence était du domaine de la police ! Comme si Dieu avait, chargé les gouvernants de mettre des bornes a une expansionn des lumieres ! Insensés ! de vouloir arrêter ce qui est insaissable, ce qui est libre même au milieu des fers, la pensée fluide divin qui franchit le temps et l'espace pour s'élever incessamemment vers Dieu : vers la source intarrissable d'où découle et ou remonte tout amour et tout intelligence. 

L'Initiateur ira donc à travers les populations, disant,  à qui voudra l'entendre, sa pensée sur Dieu et sur l'Homme. Prêtant une oreille attentive et religieuse à toutes les douleurs, à toutes les espérances, et reproduisant les unes et les autres comme l'écho de la montagne reproduit les sons qu'il entend. 

APPEL AU BON SENS SUR LA LOI D'ELECTION, PAR M. CHARLES LESSEPS

Il y a donc lieu de rappeler au gouvernement qu'en 1831 il proclamait la loi actuelle une œuvre provisoire, et de lui faire comprendre qu'un provisoire aussi absurde ne saurait devenir du définitif. L'examen de notre système électoral, tel qu'il est fait par M. de Lesseps, ôte tout prétexte au pouvoir. Si deux ou trois questions, par exemple celle du budget, étaient étudiées de cette manière, avec cette logique mathématiquè, avec cette méthode impartiale et invincible, la source d'innombrables abus serait tarie.

Toutefois la question capitale en ce moment est celle de la réforme électorale; elle est résolue, quant à la démonstration des vices de la loi de 1831, par le livre que nous venons d'analyser très imparfaitement. Nécessite d'une réforme, voilà une vérité devenue incontestable, grâce à M. de Lesseps. Maintenant , il reste à présenter un projet praticable, et ce sera l'objet des premières discussions du Comité de journaux et de dé· putés qui s'organise pour réaliser la réforme. On dit même qu'un plan très simple, et immédiatement exécutable, est déjà fout prêt, et qu'ainsi le gouvernement trouvera devant lui, dans cette session, une opposition sérieuse, véritable, capable à la fois de signaler le  mal et de faire le bien.

Le temps des oppositions complices est passé. Aujourd'hui, nous ne voulons plus de mots: il nous faut des choses et des hommes.

 

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