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Revue sociale, ou Solution pacifique du problème du prolétariat. Boussac :  P. Leroux, 1845-1850. ISSN 2021-1066.

N°21: Juin-Juillet 1847 :

. Discours sur la doctrine de l'Humanité (5)

. Le carrosse de M. Agado

. Lettre à un ami sur l’Égalité Mme ***

. Jésus au mont des Oliviers

. Souvenirs d'Algérie (6)

N°21: Juin-Juillet 1847 :

. Discours sur la doctrine de l'Humanité (5)

Notre principe d'organisation.

PREMIÈRE SECTION. DE LA HIÉRARCHlE EN GÉNÉRAL ET JUSQU'A NOS JOURS.

I. De la hiérarchie militaire et ecclésiastique.

Dans la première partie de ce Discours, nous avons exposé notre dogme essentiel, la SOLIDARITÉ HUMAINE: dans cette seconde partie, nous allons exprimer notre principe d'organisation, expliquer ce que nous appelons l'ORDRE TERNAIRE' ou la TRIADE. Nous aimerions à montrer tout d'abord comment notre principe d'organisation est lié à notre dogme, comment il s'en déduit au point d'en être une simple conséquence. Mais celte démonstration exigerait des considérations assez étendues, et nous ramènerait sur le terrain de la psychologie et de la métaphysique. Or nous voulons, autant que possible, éviter ces sciences dans ce Discours, où nous avons résolu de ne prendre du sujet que la fleur. Nous avons hâte de faire comprendre notre idée, de donner ce que nous regardons comme la plus précieuse des découvertes. Nous aborderons donc sans circonlocution et sans retard le problème si souvent soulevé, mais jamais jusqu'ici résolu, de la hiérarchie. (...) 

(...) " Jusqu'ici l'Humanité n'a guère connu d'autre principe d'ordre ou d'organisation que celui qui est employé dans les armées. Considérez un régiment: vous verrez un colonel, qui commande à toute la troupe; mais comme ce chef ne suffirait pas aux fonctions multiples qu'entraine l'existence du régiment, il a sous lui d'autres chefs qui commandent à leur tour, suivant les divers besoins du service, mais toujours par délégation du chef suprême. Le lieutenant-colonel, le quartier-maître, les capitaines, les lieutenants, les sous-lieutenants, les sergents, les fouriers, les caporaux,  ont ainsi leurs fonctions différentes, qui s'appliquent soit au régiment entier, soit à des bataillons, à des compagnies, à des pelotons, ou à des fractions plus minimes encore. Leur règle, à tous, est de recevoir le commandement du colonel, directement ou par intermédiaire, et de le transmettre. C'est à ce titre seulement qu'ils sont chefs: ils ont le droit de commander parce qu'ils obéissent. Leur puissance correspond à ce qu'on pourrait appeler leur servilisme. Mais le chef suprême du régiment est soumis à la même loi. Il a son supérieur, il est commandé à son tour par le général. Et la hiérarchie ne s'arrête pas à ce dernier; car, dans une armée, les divers généraux qui président aux mouvements des brigades et des divisions sont aux ordres du général en chef. Enfin l'armée n'étant que la manifestation de l'Etat, toutes ces puissances, qui n'existent point par elles-mêmes, obéissent toutes au monarque." (..) 

" Mais la similitude devient complète, lorsqu'on considère que la qui dit obéissance dit despotisme. hiérarchie catholique aboutit à un chef suprême nommé le pape, comme la hiérarchie militaire aboutit à un chef suprême nommé monarque. De même que ce monarque, dans la hiérarchie laïque ,  est investi du commandement des armées de terre et de mer, et  que personne ne commande que sous son autorité, par délégation autre homme en son nom ; de même, dans le gouvernement  monarchique qu'on appelle l'Eglise, personne ne commande au spi rituel que sous l'autorité de celui dont le concile de Trente a dit qu'il est" le Vicaire de Dieu sur la terre et qu'il a la puissance suprême sur toute l'Eglise". ( ...) 

"  L'Eglise est une monarchie, de même  que l'Etat est une papauté. Voilà le mode d'organisation qui a régné jusqu'ici sur la terre, non sans opposition néanmoins et sans vive  résistance.  Disons tout de suite d'où sont venues ces résistances, c'est-à-dire comment l'Humanité, mécontente de l'organisation que nous venons de décrire, et la caractérisant despotisme, a essayé d'y échapper; ce à quoi elle n'a réellement pas réussi jusqu'à présent, malgré toutes  les tentatives qu'elle a faites. Tout ce que l'on a imaginé jusqu'à nous de plus puissant pour  changer cet ordre, a consisté dans ce qu'on appelle le principe républicain de l'élection. C'est-à -dire qu'on a imaginé de nommer  les chefs, au lieu de se les laisser imposer. La multitude s'assemble donc, et nomme ceux qui devront la gouverner; la hiérarchie alors sort de l'élection. Voilà, dis-je, ce que l'esprit humain jusqu'ici a trouvé de plus grand, de plus magnifique, pour remédier au despotisme." (...) 

" L'élection ne vous sauve donc pas de l' obéissance. C'est un compromis entre la liberté et l'esclavage. Vous êtes libres au moment où vous nommez des chefs ; mais vous ne faites usage de votre liberté que pour nommer des chefs, c'est-à dire pour vous rendre esclaves. Vous n'êtes donc libres, en réalité qu'à la manière des esclaves antiques, lorsqu'ils déposaient à un certain jour de l'année, le fardeau de l'esclavage, pour jouer le rôle de leur maîtres. Les élections sont des espèces de saturnales. Et en effet c'est le caractère qu'elles ont eu chez tous les peuples dits libres, à Athènes comme à Rome; c'est le caractère qu'elles ont aujourd'hui à Paris comme à Londres. Le peuple, roi un jour, vend sa royauté à celui qui veut l'achet.er, certain, malgré son  privilege électoral, de redevenir le lendemain sujet de ceux: qu'il aura nommés, quels qu'ils soient." (...) 

" Qu'est-ce que l'autorité  en effet, pour vous, comme pour eux? C'est le droit de commander  n est-ce pas? Ils commanderont donc et à toutes les résistances qu'ils rencontreront, ils s'indigneront ; et au nom du principe  d'élection dont ils sont sortis, ils feront du despotisme; et si vous leur opposez la source de leur pouvoir, ils troubleront cette source  jusqu'à la rendre si obscure que vous ne puissiez plus démêler si le pouvoir leur est ainsi venu, ou s'il ne vient pas du fait même de la supériorité de leur nature , de la volonté divine. Ainsi le despotisme imposé viendra promptement remplacer le despotisme consenti, créé par l'élection." (...) 

" « L'homme est né libre, et partout je le vois esclave, » dit Rousseau et Rousseau a raison. L'Humanité n'a pas encore trouvé la hiérarchie qui rendra l'homme libre. Cette hiérarchie existe pourtant dans l'idéal, j'en atteste Dieu et la nature humaine. Il s'agit de la saisir dans la divine lumière, de l'incarner en nous, de la réaliser sur la terre. Voyez combien est destructive de tous les dons que Dieu a faits à l'homme la hiérarchie connue jusqu'ici, la hiérarchie des castes ·savantes et des castes guerrières ! Quel despotisme que celui de l'armée ! quel despotisme que celui de l'Eglise! Lâ un homme est devenu une machine, une machine à tuer d'autres hommes; Ici l'homme est devenu une machine aussi, une machiné qui répète ce qu'on dit d'autres hommes. "

Obéissance ! tel est, en effet, le troisième vœu, et celui-là achève la ruine de l'homme. Le vœu de pauvreté absolue attaquait la sensation dans !'homme, le vœu de chasteté absolue attaquait le sentiment dans l'homme; le vœu d'obéissance absolue attaque le troisième et dernier aspect de notre nature, la connaissance. L'homme n'aura plus ni corps, ni cœur, ni tête; il recevra pour son corps une loi de jeûne et de macération; pour son. cœur, une loi de ne rien aimer sur la terre; pour sa tête , une Loi de croire aveuglément tout ce que ses supérieurs lui diront de croire. " (...) 

" Et lorsque enfin l'esprit humain, qui avait, .avec Jean Huss, Wiclef, et Luther, ébranlé le despotisme ecclésiastique, est .venu, le Contrat Social à la main, renverser le despotisme militaire ou monarchique, ce grand événement, qui s'est appelé. Révolution, n'a pourtant pas inauguré dans le monde une organisation nouvelle. Et des ruines faites par cette Révolution, on a vu resurgir bientot et la même hiérarchie militaire et la même hiérarchie ecclésiastique que l'on avait crues à jamais détruites." (...) 

" Mais il ne s'agit pas d'Homère seulement; il s'agit de presque tous Je3 poètes; car, à l'exception des poètes théologiques, qui ont pris peur sujet la création et le divin Artiste de la création, Dieu ou le -Verbe de Dieu, et des comiques, qui ont pris pour sujet la déviation de la nature humaine entraînée par la sensation et inclinant vers la matière, tous les poètes ont pris des guerriers pour héros; l'épopée, le drame, ne sont, depuis Homère jusqu'à Corneille et Racine, qu'une galerie de portraits guerriers."

" Dans les temps postérieurs , le compagnonnage guerrier se retrouve encore chez les Grecs. On peut même dire que c'est cet esprit d'association qui, en continuant de subsister après la guerre de Troie , a fondé véritablement la cité en Grèce. J,a cité grecque primitive fut une sorte de compagnonnage. Une multitude de villes, qui devinrent par la suite plus ou moins célèbres, durent leur origine à des bandes d'exilés unis .par l'amitié avant de l'être par l'intérêt. Sans parler d'Enée et de ses compagnons dans le poème de Virgile, nous avons une belle ode d'Horace où Teucar, fuyant Salamine d'où l'exilait le courroux de son père, harangue les com- pagnons qui se sont réunis autour de lui pour chercher une nouvelle patrie. Rome elle-même, la Rome qu'on appelle éternelle, dut ses commencements ,à 'un compagnonnage entre des exilés et des bannis. Les Grecs, au surplus, ou du moins quelques uns de leurs législateurs, firent une sorte de science de' cette idée que c'est l'amitié qui unit les guerriers, et que la hiérarchie militaire doit être fondée sur ce sentiment." (...) 

" ·Ce qui se rapporte davantage à notre sujet, c'est de remarquer quelle éclatante- confirmation l'origine de tous nos états modernes ainsi expliquée donne à notre principe, que les guerriers représentent la prédominance du sentiment dans le développement de l'Humanité. Cette hiérarchie militaire, si effroyablement tyrannique aussitôt qu'on s'éloigne de ses origines, ne contredit pourtant en rien ce principe; puisque, toute blessante qu'elle soit aujourd'hui pour le sentiment, elle n'en a pas moins eu pour origine le sentiment, l'amitié, le compagnonnage." 

La hiérarchie ecclésiastique a commencé par la fraternité. .

Et eux aussi, les savants,les prêtres, durent commencer à 's'organiser dans le bien , comme les artistes, les guerriers. Pourquoi ont-ils également fini par le mal? Avez-vous vu quelquefois, à Paris devers Saint-Sulpice, ou ailleurs, une longue troupe d'hommes noirs sortir d'un grand édifice fort ressemblant à une caserne, et marcher silencieux, à pas précipités, vers l'église : on dirait qu'ils ont hâte de se cacher sous ses voûtes, comme des oiseaux de nuit que blesse la lumière du jour. Leurs regards, fixés sur la terre ou sur leur bréviaire, craignent de rencontrer, dans ce court trajet, les regards des hommes, des femmes, des enfants, qui courent en jouant auprès d'eux, et qui traverseraient leur rangs, n'était une sorte d'effroi que leur tristesse inspire. Si vous avez vu cette éclipse de la vie que les prêtres imposent à leurs disciples, et qu'on appelle le séminaire, la hiérarchie ecclésiastique n'a pas dû vous paraître humaine. Mais si vous avez lu ces horribles et trop réelles peintures que Liorente et Ricci , et tant d'autres, ont faites des couvents d'Espagne et d'Italie, la hiérarchie ecclésiastique a dû vous paraitre abominable. Et si à tant d'atrocités, de crimes, de monstruosités de tout genre, enfouis dans le silence de ces retraites, sous la loi d'obéissance absolue, sous la loi de despotisme, vous joignez l'inquisition, ses recherches odieuses, ses tortures, ses supplices, la hiérarchie ecclésiastique doit vous apparaître quelquefois comme une intention de l'esprit du mal déchaîné sur la terre, comme une reproduction des sacrifices à Baal et du sang versé sur les autels des Druides.

Alors vous seriez prêt à vous écrier avec Voltaire: "Exterminons l'infâme ! " On a reproché à Voltaire, on lui reproche tous les jours d'avoir méconnu le Christianisme: comment vouliez-vous qu'il le reconnût sous cet affreux costume ? Voltaire est plus chrétien que ceux qui lui reprochent ce qu'ils appellent son impiété, lorsque l'humanité, révoltée en lui par le meurtre intellectuel, moral et physique organisé sous le nom de hiérarchie , lui fait passer vers Dieu cette prière: " Exterminez , grand Dieu, de la terre où nous sommes, Quiconque avec plaisir répand le sang des hommes ! "

Critique d'un ouvrage de Condorcet.

Or si Conrdorcet avait été moins aveuglé par les préjugés de son temps, s'il avait mieux connu l'histoire, il aurait· su qu'il en a. été de toutes les religions comme du Christianisme, qu'elles ont toutes commencé par la fraternité. Cet Orient, si formidable pour lui et si méprisé à la fois, aurait pu-lui apparaître alors avec d'autres couleurs. Les réformes religieuses survenues dès la haute antiquité dans cet Orient, et qui avaient pour but d'abolir les castes primitives, auraient au moins trouvé grâce ses yeux. Il aurait pu comprendre, par exemple, le Mosaïsme, saisir la divinité .de celte législation apportée aux hommes au nom de l'unité de Dieu et de l'unité de la "race" ("..." : ndlr ) humaine. Ces grandes institutions, la Pâque, le Jubilé, le Sabbat, lui auraient offert leur signification. Il aurait senti alors que les mèmes vérités que lui et les hommes de son temps voulaient établir da vs la législation, et pour lesquelles ils faisaient une révolution (terminée, hélas! par un suicide), avaient rayonné autrefois dans l'âme des fondateurs des-législations humaines." (...) 

" Non, ceux-. là d'abord, loin de les outrager soit en parole , soit par un injuste silence, il les eût glorifiés comme ils le méritent; il les eût chantés, pour ainsi dire, dans son âme. comme l'expression de sa propre nature arrivée au plus haut degré d'expansion; et, en faveur des biens infinis que leur révélation a faits aux' hommes, et d'où sont sorties, comme d'une source divine, toutes les sciences, toutes les découvertes, tous les arts de l'Humanité, il eût, non pas fait grâce, mais fait justice à leurs apôtres, à leurs successeurs dans tous les temps; reconnaissant que lors même que ces successeurs avaient erré, ils l'avaient fait par suite de l'imperfection qui s'attache à l'esprit humain en lui-même; lequel étant perfectible, comme Condorcet le proclame et comme il a été le plus ardent et le plus éloquent à le proclame, n'est par conséquent pas parfait, à aucun moment de la durée de notre espèce. Ce qu'il aurait donc accusé, ce défenseur du principe de la perfectibilité indéfinie du genre humain, c'eût été l'ignorance générale des hommes, malgré les révélations antérieures et au sein même de la religion; ce qu'il eût accusé, ce sont les limites de la connaissance humaine jusqu'à ce jour : et alors il eût été d'accord avec lui-même."

Critique des conditions de travail de l'époque chez les ouvriers, paysans, bourgeois et industriels commerçants : " Nous avons dit: Entrez dans un atelier, et vous verrez des ouvriers tenus de servage , comme les soldats d'un régiment. Cela est vrai; mais la similitude s'arrête là. Le maître de cet atelier, bien qu'il dépende indirectement de ses pratiques, d'une part, et du capitaliste qui lui fait des avances, de l'autre, n'en est pas moins monarque dans son atelier. Il n'est pas simple colonel, il est monarque, entendez-vous. II produira, s'il le veut; il ne produira pas, si cela lui convient; il diminuera le nombre de ses ouvriers, ou l'augmentera à sa guise ; il multipliera ses instruments, ou les laissera chômer; il le détruira même, si tel est son désir. Personne ne lui commande que son intérêt, et il est libre de faire tout ce que son intérêt lui commande." (...) 

La hiérarchie éclésiastique et militaire peut donc être un absurde et monstrueux despotisme; il n' est pas moins vrai que c'est une organisation. Mais le propriétaire des instruments de travail, la fragmentation, entre une multitude confuse d'industriels, de l'instrument général de travail qui donne lieu à la production, est le contraire de l'organisation." (...) 

Mais j'ai suffisamment traité ce sujet ailleurs (1). Je m'arrête sur ce point, et me résume en disant: Les prêtres et les guerriers sont au moins arrivés· à former des empires: les industriels n'ont abouti jusqu'ici qu'à constituer l'égoïsme sous le nom de propriété et cette guerre générale de tous les producteurs entre eux, que les économistes de ces derniers temps, dépourvus de tout sens politique, ont si stupidement exaltée comme la loi même des sociétés, sous le nom de concurrence." (...)

" Quant aux compagnons du moyen· âge, ils formaient primitivement l'association des trois corps de métiers qui se rapportent à l'art de construire. Aujourd'hui, divisés en plusieurs sectes, les uns font remonter leur origine à Salomon et à la construction de son Temple, les autres rapportent la leur aux Templiers, et à Jacques de Molay. le dernier grand-maître de cet ordre; d'autres enfin reconnaissent une source bien plus moderne. Il semble qu'ils ont été, avec les Templiers, l'origine de la société secrète, aujourd'hui répandue dans le monde entier, qui a pris d'eux: le nom de francs-maçons. Ils appellent devoir leur règle d'association, et c'est un beau nom. Malheureusement nous ne voyons pas qu'on ait pu jeter jusqu'ici aucune lumière sur leurs origines. On n'a pas dit non plus ce qu'il peut y avoir de caché  sous leurs mystères. Ce qui est certain seulement, c'est que si la haine s'est mise entre les différentes fractions de ce grand corps, si des jalousies d'état sorties de la concurrence universelle ont poussé les compagnons de devoirs différents à se ruer souvent, comme des bêtes féroces, les uns contre les autres, ce furent pourtant la charité et l'union qui fondèrent leurs associations. Aussi pouvons-nous encore regarder, en finissant, le compagnonnage proprement dit comme un effort qui, pour avoir avorté, n'en signale pas moins une tendance de l'industrie vers l'association, vers l'ordre. Seulement nous devons ajouter à propos de cette tentative ce que nous avons dit de toutes les autres : Pourquoi l'homme commence-t-il, dans ses essais d'organisation, par l'amitié, par le dévouement, par la fraternité, par le compagnonnage, en un mot, pour finir par la di,ision, par la lutte, ou par le despotisme ?

Ainsi partout la· hiérarchie commence par la fraternité, et finit par le despotisme; elle débute par le compagnonnage, et clic finit par le regiment. Les trois aspects de notre nature, répondant aux termes connaissance, sentiment, et sensation, ont produit uniformément ce contraste d'une association qui finit par l'oppression, par la tyrannie, si elle ne se termine pas par la dissolution. Les savants ont commencé par des écoles, et ont fini par l'inquisition ; les guerriers ont commencé par des troupes chevaleresques, et ont fini par le régiment; les industriels ont commencé par le compagnonnage, et ont fini par l'atelier. Ici un maître, là un monarque, plus loin un pape. · Quel refuge y a-t-il contre cette fatalité qui perd les plus nobles choses, et où faut-il chercher un remède au despotisme ? Devons-nous renoncer à l'exercice de nos facultés, détester celte connaissance qui, dès le début de l'Humanité, produit le despotisme; cc sentiment , qui n'a pas pu faire deux pas à son tour sans l'amener; cette activité appliquée à la nature, qui semble emporter la nécessité de l'esclavage parmi ceux qui l'exercent ? Non, nous ne devons maudire, répudier, anéantir aucune de nos facultés. La connaissance est légitime et sainte, le sentiment est légitime et ·saint, l'activité ou la sensation est légitime et sainte.

Que devons-nous faire ? Chercher le remède au point où le mal commence., Or le mal commence là où l'association cesse d'être une association pour devenir un commandement. Le mal commence où l'amitié finit, où le compagnonnage cesse. C'est donc la loi de l'amitié, la LOI DU COMPAGNONNAGE appliquée à toutes  les branches de l'activité humaine, qu'il s'agit de découvrir."

" Le principe d'élection même ne tire sa légitimité et sa vérité que du rapport qu'il a avec le compagnonnage. Qu'est-cc que l'élection? c'est un choix. Elire, c'est choisir, suivant l'étymologie même du mot. Donc cette forme républicaine, à laquelle l'Humanité s'est attachée pour remédier au despotisme, n'a de valeur que parce qu'elle rentre dans l'idée même du compagnonnage ou de l'amitié. Mais son imperfection vient de ce que ce n'est pour ainsi dire qu'un spectre de ce qu'elle représente. Trouvez la loi du compagnonnage, et le choix sera l'expression de cette amitié organisée. Jusque là vous n'avez pas de corps véritable de cette forme que vous appelez l'élection. L'Humanité, en suivant l'élection, en s'attachant à l'élection comme au contrepied du despotisme, n'a saisi jusqu'ici qu'une ombre, au lieu d'embrasser une réalité.  Nous osons le dire (non, je le répète; par un fol orgueil, mais par le sentiment de la vérité qui nous inspire), nous indiquerons où est le corps véritable de cette forme vide par elle-même et creuse qu'on appelle le principe républicain ou l'élection. Et avant de terminer cette première section, où nous avons passé en revue les différentes hiérarchies que l'Humanité a connues jusqu'ici, où nous en avons montré en quelques mots le bien et le mal, le bon et le mauvais côté, nous voulons inscrire au moins le nom de cette loi du compagnonnage, de cette loi de l'amitié, base de la véritable organisation humaine dans la Science, dans l'Art, dans l'industrie, et dans l'Etat aussi, dans l'Etat qui est la synthèse réalisée de la Science, de l' Art, de l' Industrie; nous voulons l'inscrire, afin que nos lecteurs sachent que, dans la suite de ce Discours, c'est à l'exposition de cette loi que nous appliquerons leur esprit. Cette  loi donc, la vraie loi de la hiérarchie humaine, c'est la Triade.

 

. Le carrosse de M. Agado

(...)

-Tu ne peux disconvenir, lui dis-je, qu'il n'y ait à distinguer entre ceux qui puisent au budget et ceux qui n'y puisent pas. C'est l'impôt qui fait vivre les premiers; et par conséquent on peut dire que c'est nous, le peuple, qui les payons; et s'ils ont du luxe, on peut dire que c'est le paysan qui paye ce luxe. Mais en est-il de même des autres, qui s'enrichissent par l'industrie ou le commerce, ou qui tiennent leur fortune de leurs pères? Ceux-là assurément ne sont pas payés par le peuple. Ce sont eux, au contraire, qui payent les ouvriers qu'ils emploient dans l'agriculture, dans l'industrie manufacturière, dans le négoce, ainsi .que dans tous les autres services qu'ils nous demandent. Et, de concert avec nous autres simples prolétaires, ce sont eux aussi qui payent ou salarient, par l'impôt auquel ils contribuent comme nous, les différents fonctionnaires publics, depuis le garde champêtre jusqu'au ministre, et même jusqu'att roi, par la liste civile que votent à chaque règne les députés. Cela, je l'avoue, me paraît plus clair que le jour.

- Tant pis pour toi, répondit mon ami, si cela te paraît clair. En ce cas, tu penses comme M. de Cormenin, comme le National, et comme monsieur, ajouta-t-il en désignant le marin. Je ne te mets pas en mauvaise c01;npagnie. Vous êtes · tous de grands politiques, je le veux bien ; mais néanmoins vous n'êtes pas forts en économie politique. Quoi! tu te satisfais de cette raison que les fonctionnaires publics sont ostensiblement payés par l'impôt perçu sur toute fa nation; et parce que les capitalistes ne sont pas ostensiblement payés par les travailleurs ou par la nation représentée par ses députés, tu nies qu'ils tirent leurs capitaux, leurs revenus, leurs richesses, leur luxe, du travail général de' cette nation. j'avoue que, quant aux fonctionnaires publics, la source  de leur revenu est claire ; c'est l'impôt. Il est donc fort aisé de voir, comme vous faites, qu'ils sont payés par le peuple, tandis qu'il n'est pas tout-à-fait aussi aisé de démêler comment, en vertu de l'état actuel de l'industrie et du commerce, les autres riches sont également, quoique non ostensiblement, payés par le peuple. Mais la proposition n'en est pas moins certaine. " (...) 

" -En effet, dit le marin, c'est l.'objection que les journaux ministériels font souvent à mon journal. Quoi! disait l'autre--jour l'infàme feuille de la rue des prêtres, E:n répondant au National, vous trouvez bon que M. Laffitte et les autres banquiers aient des millions, et vous vous fâchez du traitemeut modique alloué aux fonctionnaires publics du plus haut rang!

- Vous le voyez·, dit mon ami, ces choses se tiennent comme les doigts de la main. Le luxe des capitalistes entraîne le luxe des fonctionnairns.

-Ma foi! vous avez raison, dit le marin. J'avais toujours, pour ma part, été aussi révolté des loups-cerviers de la Bourse que dès ventrus du budget. Mais je n'avais jamais pensé que c'était le peuple qui payait les uns comme les autres. Mon journal, qui crie tant contre les derniers, ne dit jamais rien des premiers ni de la source de leur revenu. Au fait, il a fallu que ce fût M. Dupin, Contrarius, comme l'appelle le Charivari, qui inventât le nom de loups-·cerviers. C'est lui qui a dignement baptisé tous ces richards de la banque,  de l'industrie, et du commerce, qui font de nous ce qu'ils veulent, avec leur capital! Ah ! jevous comprends. Ma foi! vous avez raison.

-Oui, j'ai raison, dit mon ami, ou, si vous voulez, M. Dupin a raison. Qu'est-ce qu'un capitaliste qui, sans contrôle et sans surveillance, dispose de la richesse acquise par le travail indivisible de la nation, et qui se fait la part du lion dans la distribution du produit ? Un être carnassier et rapace, un dévorateur du reste du peuple, un loup-cervier. En vérité, il faut remercier M. Dupin d'avoir trouvé ce nom. Il a été donné à cet esprit pénétrant et fin de dire deux mots notables sur notre époque. Seulement il ne lui a pas été donné d'en saisir le rapport, et de comprendre que . tant que la devise du siècle sera chacun pour soi, chacun chez soi, il -Y aura des loups-cerviers." (...) 

" - Monsieur, reprit mon ami, n'a eu qu'ù fixer un moment pour comprendre comment nous payons  directement ou indirectementl''impôt, et comment par l'impôt nous payons nos seigneurs du budget, c'est-à-dire ceux de nos seigneurs qui nous gouvernent politiquement. Eh  bien, il ne te sera pas plus difficile, avec la plus légère attention, de comprendre comment nous payons aussi nos seigneurs du capital, nos seigneurs de l'industrie, nos seigneurs qui nous gouvernent économiquement, qui nous  font travailler, qui nous distribuent notre besogne, qui nous tiennent à l'atelier connne des esclaves quand ils ont besoin de nous, mais nous jettent sur le pavé quand ils n'en ont plus besoin.

Ah! dis-je, nous y voilà de nouveau. Cette fois-ci,  tu vas t'expliquer. Car je te répéterai jusqu'à satiété ce que je te disais tout-à-l'heure : Comment veux-tu que  soit nous qui les payions, puisqu'au contraire ce sont eux  qui nous payent ? 

- Eh! précisément, s'écria-t-il. Ils nous payent, et voilà pourquoi ils s'arrangent de façon à nous faire payer. Ils nous payent, on leur laisse le droit de nous payer; ils nous payent mal donc nous les payons.  " (...) 

J'avais étudié l'économie politique, ou ce qu'on appelle de ce nom ; car c'était la science à la mode sous le règne du Libéralisme de la Restauration .  Mais j'avoue que je n'avais rien lu dans les livres de M. Say qui ressemblât à ce que j'entendais . Il me prit un remords de me laisser si facilement faire; et, résistant à l'évidence intérieure qui me pénétrait, je me mis à opposer objections sur objections.

- C'est fort grave, lui dis-je; c'est une manière nouvelle de considérer la société. Mais est-elle solide? Tu sembles faire de l'Etat ou du gouvernement quelque chose de fondamental, tandis qu'à l'inverse nous étions habitués, sous la Restauration, à regarder l'Etat ou le gouvernement comme une superfétation, à tel point que M. de Tracy l'appelait un cancer.

- M. de Tracy se trompait.

- Et Smith! lui dis-je, et M. Say! et tous les économistes, et tous les libéraux leurs disciples!

- Quand tu m'apporterais cent mille autorités à l'appui d'une erreur, reprit-il, ce n'en serait pas moins une erreur, L'œuvre des derniers siècles fut de détruire l'organisation du Moyen-Age, la papauté, la monarchie, la noblesse. Il est donc tout simple que cette croisade des esprits contre une certaine forme de gouvernement ait abouti à la proscription de tout gouvernement et de l'idée même de gouvernement. La critique, au bout de son œuvre de destruction, a posé le néant; et le néant, prenant un costume de docteur, s'est cru une science, et s'est appelé l'économie politique. Pauvre science l ne m'en parle pas, je te prie." (...)

Peut être une image de texte qui dit ’LA CONNERIE ÉCONOMIQUE PREND LE POUVOIR JACQUES CENERELIV’

Quand la connerie économique prend le pouvoir
Jacques Généreux
A paraître le 7 octobre... Plus d'info à venir bientôt

. Lettre à un ami sur l’Égalité Mme ***

. Jésus au mont des Oliviers

. Souvenirs d'Algérie (6)

Consultez Criaeau.org

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