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Revue sociale, ou Solution pacifique du problème du prolétariat. Boussac :  P. Leroux, 1845-1850. ISSN 2021-1066.

Etudes sur Pierre Leroux : De la Revue Sociale – Boussac : de septembre 1845 à juillet 1850
Quelle est la singularité et le contenu de la Revue Sociale, publiée à Boussac par Pierre Leroux entre 1845 et 1850 ?
 
. Quel fût son rôle et son importance dans le mouvement Socialiste de l’époque ?
 
. Quels sont ses liens avec nous en 2021 ?
 
. Peut-on parler d’une recherche d’Ethique de la Science Economique ?
 
. En quoi la Doctrine Socialiste de Pierre Leroux inaugure l’Eco-socialisme actuel ?
 
Les recherches doctorales seront orientées vers un descriptif, une analyse, qui prendront en compte l’anti-criminalité et le champ de reconstructions des savoirs de l’époque.

Cette page propose des résumés du contenu des 30 numéros de la Revue Sociale imprimée et éditée à Boussac de 1845 à 1850 : 

( pour accéder à l’original des 31 numéros de la Revue Sociale http://premierssocialismes.edel.univ-poitiers.fr/files/original/4419b87f99946c5bee8829e6410f7d4c.pdf )  

LBSKMC-CRIAEAU E3R3 : De la Revue Sociale n° 20 : Pierre Leroux – Boussac : Mai 1847 : un numéro aussi dense que synthésique. Aussi Mémorandum qu'encore donnant à comprendre les points fondamentaux de la Synthèse entre Humanité, Solidarité, vulgarisation éducationnelle et praxis : de la théodicité à l'histoire de la Philosophie en la Loi de Perfectibilité Humaine.

LBSKMC-CRIAEAU E3R3 : Leroux un génie anticipateur de la Shoah et éducation anti-génocide anti-écocide : les preuves mai 1847 : De la Revue Sociale n° 20 : Pierre Leroux – Boussac : Mai 1847 : SCOOP : Rapport Leroux Livre d'Esther en Devoir de Mémoire et Education contre les crimes contre l'Humanité : texto : " Ici donc se révèle une autre face de la question de l'industrie: Après avoir, avec les économistes, examiné l'état général de la société, distingué les classes, établi le rapport et la proportion de. leurs ressources, en faisant abstraction des individus, et se bornant a une sorte d'historique de la production, de la distribution et de la consommation des richesses, il reste à montrer l'application de ces LOIS à l' individu, aux relations sociales; il reste à rechercher quelle est l influence qu'elles exercent sur les rapports des hommes, sur les disposition intérieure que chacun d'eux y apporte. Cette tâche, qui sort du domaine de l'économie politique, s'adresse surtout aux artistes. Ce sont en effet des artistes, des poètes qui ont peint les horribles souffrances de l'homme sous l'empire des castes de familles. Ce sont de même des artistes, des poètes qui ont retracé les divisions, l'esclavage et les déchirements de l'homme sous l' empire des castes de patrie. Ce sont aussi des artistes, des poètes, qui doivent révéler les épouvantables douleurs de l'homme sous l'empire des castes de propriété. Aussi que de cris et d'imprécations , que de plaintes s'élèvent déjà! Cette fois les voix viennent de partout, car tout homme se sent atteint. On rapporte qu'un roi de Perse, outragé dans sa puissance par les peuples de la Grèce, chargea un de ses officiers ( CITANT LE LIVRE D'ESTHER ? ? ? ) de lui rappeler .chaque jour leur révolte; il semble qu'aujourd'hui chacun s'impose envers la société une charge semblable à celle que cet officier devait remplir près de Darius, et se fasse un devoir, chaque jour aussi , DE RAPPELER SES SEMBLABLES AU SENTIMENT DE LEUR DOULEUR communes en leur montrant ses propres plaies. C'est qu'en effet tous sentent plus ou moins qu'il suffirait, pour détruire le mal, de le faire connaître jusque dans son principe; que du jour OÙ chacun, rentrant en soi, en appellera à sa propre conscience DES MAUX AFFREUX QUI CHASSENT L'HUMANITE DE LA TERRE ces maux disparaîtront, et laisseront la vie humaine se répandre et se développer suivant ses lois véritables. Ah ! certainement, si le spectacle des souffrances qu'endurent les hommes sur toute la surface du globe, à, cette heure où nous parlons, était offert à chaque homme; chaque homme reconnaîtrait l'effrayante responsabilité qui pèse sur lui; chaque homme se sentirait intéressé au salut de son semblable et s'y consacrerait tout entier. " En rapport entre Ethique de l'Economie et Artistes quand à la peinture des relations sociales en Sciences Humaines : LEROUX ? UN GENIE. / Consultez Criaeau.org

LBSKMC-CRIAEAU E3R3 : Nous avons proposé en " De Pierre Leroux aux Lumières du Rwanda ? Matrice de Réparations éco-socialiste" une introduction à l'oeuvre de Pierre Leroux , contre cousin, contre malthus, contre fourier, contre renan et contre même hugo : il s'agissait d'une analyse sur les ouvrages de Pierre Leroux : nous avions l'intuition que Leroux en la Revue Sociale, synthétisait 15 années du mouvement social qui, depuis les Canuts, aboutissait en une synthèse ayant servie de rassemblement pour la révolution de Février 1848 : en ce numéro 20 de Mai 1847, Leroux lui-même - himself - l'écrit , noir sur blanc, jusque démontrer la volonté pédagogique de vulgariser la Doctrine de l'Humanité depuis Boussac et le laboratoire intellectuel et pratique du Socialisme non autoritaire et écologique : " Que de cohues, sous le nom de partis et d'écoles, nous avons vues, depuis trente ans, se former et se dissoudre! Sous la Restauration, la cohue du Libéralisme a joui d'un certain éclat. Ceux qui juraient mort · aux tyrans sur leur poignard de Carbonari seraient aujourd'hui les plus cruels tyrans, s'ils n'étaient pas les plus corrompus des hommes. Nous avons vu, après la Révolution de juillet, la cohue Saint-Simonienne. Le Saint-Simonisme n'était pas une doctrine; c'était un synchrétisme, où des principes discordants luttaient ténébreusement les uns contre les autres. Nous ne demandons pas ce qu'est devenue cette cohue; nous craindrions de rencontrer la plupart de ceux qui arborèrent alors de nobles principes occupés de l'exploitation la plus honteuse qu'on ait fait subir à l'espèce humaine. . Et le parti républicain, comment est-il tombé? Sont-ce les prisons, les échafauds, l'exil, les persécutions de tout genre, qui l'ont réduit à n'être plus qu'un nom et un désir? Non; ce sont les antinomies de la devise de nos pères, liberté, égalité, fraternité, qui se disputaient dans son sein. Nous ayons aujourd'hui la cohue du Fouriérisme, qui, il faut bien le dire, ne vit que par les emprunts ou les vols faits à notre Doctrine, et qu'elle ne craint pas de rapporter à son absurde déité, comme pour arriver plus vite à la condamnation de toutes les grossières erreurs du plus aveugle matérialisme. Ce synchrétisme discordant trouvera sa fin par les mêmes causes qui ont détruit tant d'autres svnchrétismes. Le parti républicain a fait place au Communisme: c'est un progrès. Mais qu'indique ce changement? Que le parti républicain, après avoir été d'abord épris du premier terme de la devise de nos pères. liberté, en est venu à s'éprendre du second terme, fraternité. Il faudrait donc, nous le répétons, une doctrine qui fût l'explication finale de toutes les antinomies, une doctrine qui ne fût pas un synchrétisme, mais une synthèse. Cette doctrine, nous osons dire que nous la possédons. Et ce n'est pas un misérable sentiment d'orgueil qui nous pousse, nous et nos amis, à mettre cette assertion au-dessus des assertions secourables que peuvent faire toutes les sectes et toutes les écoles qui débattent aujourd'hui dans le domaine de l'intelligence. Non, c'est la foi qui nous commande d'affirmer notre foi. La Revue Sociale a été consacrée à la vulgarisation 'une doctrine dont la vérité commence à être éclatante aujourd'hui, la DOCTRINE DE L'HUMANITÉ. Dans l'ordre général des déductions, cette doctrine se compose de trois parties.
 
. La première est le DOGME, ou la Solidarité humaine;
 
. La seconde est l'ORGANISATION ou la Triade;
 
. La troisième s'occupe du rapport de l'homme a sa nature; elle pour objet direct la SUBSISTANCE, et nous en désignons les principes par le nom de Circulus, qui exprime la Loi divine en vertu de laquelle chaque homme étant à la fois producteur et consommateur a un droit incontestable à l'existence."

N°20:Mai 1847 :

. Note sur la Mémoire – Ed Dujardin

. Les Ouvriers A – Desmoulins

. «  Buzançais » Mme ***

. Souvenirs d'Algérie (6)

. Aux abonnés de la revue Sociale - Pierre Leroux

N°20:Mai 1847 :

. Note sur la Mémoire – Ed Dujardin : où l'auteur reprend la question de la renaissance de l'homme dans l'Humanité, selon l'objection mémorielle mais aussi selon une démonstrative ancrée tant dans la Tradition que sur les connaissances scientifiques de l'époque...

L'objection qu'on oppose le plus communément à la doctrine de la renaissance dans l'Humanité est tirée de l'absence de la mémoire. Cette objection a été réfutée dans la livraison du mois de février dernier. Notre intention est d'ajouter quelques considérations à celles qui ont été déjà présentées. Nous ne pouvons exposer de nouveau ce que les lecteurs connaissent ; aussi prenons-nous le parti de les renvoyer simplement, pour tout ce qui se rattache de près ou de loin à ce point de doctrine, au livre DE 1,'HuMANITÉ, aux articles métaphysiques de l'ENCYCLOPÉDIE NOUVELLE, tels que Condillac, Conscience, Eclectisme, Sommeil, etc., et encore, principalement pour les personnes qui n'ont pas à leur disposition les écrits que nous venons de citer, à I' Exposé somrnaire que M. Grégoire Champseix a publié dans cette Revue. C'est dans ces ouvrages qu'ils trouveront développées les idées qui nous ont inspiré cette Note." ( ...) 

" Cette espèce de travail d'assimilation que le sommeil -Opère sur les manifestations de quelques instants, la mort l'opère sur les manifestations de toute la vie. Nous ne pouvons mieux faire que de citer à cet égard quelques lignes du livre De l' Humanité: " L'innéité et les conditions diverses que les êtres réapparaissant aujourd'hui à la vie apportent en naissant remplacent évidemment la mémoire perdue de leur existence passée. Cette mémoire est entrée, pour ainsi dire, plus profondément dans leur être; elle est transformée en facultés, en puissance de vivre, en virtualité, en pré-dispositions de tout genre .... Il se fait probablement dans le phénomène de la mort quelque chose de semblable à ce qui a lieu chaque jour dans le sommeil que les poètes, les philosophes, et même le vulgaire, ont si souvent comparé à la mort, et appelé le frère de la mort. Dans le sommeil , dis-je, nos perceptions s'élaborent au point de devenir notre être lui-même. C'est ainsi que le sommeil nous régénère, et que nous sortons plus vivants et plus forts du sommeil, avec un certain oubli. Eh bien, dans la mort qui est un plus grand oubli, il semble que notre vie se digère et s'élabore, de manière que, tout en s'effaçant sous sa forme phénoménale, elle se transforme en nous, et augmente, en passant à l'état latent, la force potentielle de notre être. Puis vient le réveil ou la renaissance. Nous avons été, nous ne nous rappelons plus les formes de cette existence; et néanmoins nous sommes, par notre virtualité, précisément la suite de ce que nous .avons été, et toujours le même -être, mais agrandi (1). '' Voilà comment se lient nos diverses existences, et comment il se fait que l'essence du passé, si l'on peul s'exprimer ainsi, se trouve en quelque sorte incarnée en nous, sans que cependant nous en ayons aucun souvenir. , Après toit, la mémoire est-elle donc chose si importante que nous devions nous en préoccuper d'une manière aussi exclusive ? Ce dont il s'agit, ce n'est pas de nous souvenir, ,mais de continuer l'œuvre de création qui nous rapproche de l'idéal de perfection qui nous guide et nous éclaire. L'identité de notre être ne gît pas plus dans la mémoire qu'elle ne gît dans aucune de nos autres facultés. Elle gît, dans l'être lui-même se continuant et se perfectionnant dans ses manifestations successives. La grande autorité de Leibnitz nous vient ici en aide : « Ce n'est pas, dit-il, le souvenir ·qui fait précisément le même homme .... L'avenir dans ·chaque substance a une parfaite liaison avec le passé. C'est ce qui fait l'identité de l'individu (2)." (...) 

" N'est-ce pas réellement placer l'être où il n'est pas, que de le placer dans les manifestations d'un de ses attributs, dans les souvenirs ?  " ( ...) 

" Ces idées touchant l'absence de mémoire ne sont pas nouvelles, comme on le sait. On les retrouve dans l'antiquité judaïque, comme dans l'antiquité grecque, quoique d'une manière moins marquée. Virgile, clans son exposition poétique de la philosophie de Pythagore, nous montre les âmes buvant les eaux du fleuve Léthé (oubli), et retournant ensuite dans le sein de l'Humanité, sans emporter aucun souvenir de leur existence antérieure, immemores. Isaïe, prophétisant des temps meilleurs aux fidèles serviteurs de Jéhovah, leur promet, au nom de la Divinité, une terre nouvelle où ils n'auront aucun souvenir du passé, et non erunt in memoria priora. " ( ...) 

 "  Sommes-nous doués d'une puissance telle que nous puissions embrasser plusieurs existences à la fois ? " ( ...) 

" La mort, considérée philosophiquement, est une condition expresse du progrès. Dans l'univers, tout meurt, comme on le dit vulgairement, c'est-à-dire, tout change, tout se transforme pour recommencer une nouvelle existence.  Pourquoi l'homme échapperait-il à cette loi générale et providentielle? Pour que la mort n'existât pas, il faudrait que le monde entier fût immobile; car un changement qui s'opère dans une partie entraîne nécessairement un changement dans toutes les autres parties. Sans la mort, aucun progrès ne serait possible : la création dans l'Humanité étant successive, telle existence de l'homme est adéquate à  tel temps et à telle somme de vérité, et ne peut l'être à un autre temps et à une autre somme de vérité. Pour que l'Humanité fasse un pas nouveau, il faut que l'homme meure, qu'il retourne puiser dans le sein de Dieu une virtualité nouvelle qui lui permettra d'ajouter quelque chose au fonds antérieur de l'Humanité. Cette nouvelle existence est prédestinée à se perfectionner dans une certaine mesure et à accomplir une mission en rapport avec l'innéité qu'elle a' apportée. Des forces diverses sont nécessaires pour que l'entier accomplissement de ces révélations successives ait lieu}; la meme existence ne peut, en aucune manière, suffire cette ascension graduelle, continue,  vers la Vérité, vers Dieu. nous dire : Si nous ne nous souvenons pas de nos existences Par conséquent, si nous ne mourions pas, l'Humanité serait encore aujourd'hui ce qu'elle était à son origine. Le caractère essentiel de la vie, n'est-ce pas la manifestation,  c'est-à-dire le changement, le progrès ? "

On rapprochera depuis la Psychanalyse et les études sur l'Individuation, les formes initiatiques et para-initiatiques que l'auteur semblent évoquer plus ou moins directement, dans ce progrès continu qui au-delà des formes, se transcrirait encore au-delà de la mort , au su et vu des observations de phénomènes connus au sein de la Vie ? Des transformations à la Mémoire, des épreuves aux nouvelles Transformations ? L'amour et son histoire  même, n'est-il pas porteur en les rencontres des différents corps, de mémoire et individuations formant chaîne et encore transformations selon les données du passé et du présent aussi ? 

La mort ne doit donc pas être regardée comme un anéantissement ou comme un passage dans un autre  monde : c'est un pas de plus fait vers Dieu. Loin de la craindre et de la maudire, nous devons l'envisager religieusement, comme un des plus grands et des plus féconds moyens dont la Providence se sert pour le  perfectionnement du genre  humain. Loin de couper brusquement notre existence  terrestre, elle la continue d'une manière profonde. Loin  d'être neutre, d'être sans force ni vertu, elle possède dans la profondeur de ses limbes, une admirable puissance de création; analogue, sous ce point, au sommeil, qui n'est pas non plus une interruption, mais une continuation de la vie créatrice. Voyez! la mort nous prend usés, et elle nous rend une existence nouvelle, pleine de  vigueur et d'énergie, capable d'embrasser non seulement  tout ce que nous avions embrassé antérieurement, mais  encore de découvrir et d'atteindre de nouveaux horizons. C'est par ces changements successifs que se développe  la virtualité infinie de notre être. Ces idées doivent apporter dans le cœur de l'homme véritablement religieux un grand calme et une grande foi en la Providence. Loin de trouver à maudire, nous ne trouvons encore , quand nous avons scruté sincèrement et profondément les choses, qu'à bénir et qu'à honorer. Laissons  tomber avec indifférence les accusations superficielles  contre celui qui a tout fait avec poids et mesure. Respectons ce que nous pouvons maintenant comprendre et expliquer, ce qui ne peut plus être pour nous un objet d'incertitude et de frayeur superstitieuse : la mort. Elevons plus haut notre pensée, et considérons les choses au point de vue  de l'éternité de la vie. Le passage de la vie à la mort, c'est-à-dire de l'état de manifestation à l'état de virtualité, et réciproquement, est un mystère qui a lieu dans le sein de  l'infini, et que nous ne pouvons prétendre, par conséquent, approfondir d'une manière complète. " (...) 

Avenir consolant vers lequel nous gravitons irrésistiblement, nous travaillerons de toutes nos forces au perfectionnement de l'Humanité en nous et dans nos frères; car nous ne voyons plus la vie d'une façon étroite et fragmentaire: nous savons que la vie a pour hut la vie; et, dans le passé comme dans l'avenir, nous contemplons les évolutions de plus en plus parfaites de notre être éternellement lié à l'Humanité et à la terre. Nous avons foi en la sainte loi de la solidarité, qui préside à notre ascension vers Dieu; nous comprenons que notre vie future portera des traces profondes de notre vie actuelle. Non, l'Homme n'est pas une table rase au moment de sa naissance, comme le veut Aristote (1). Il apporte avec lui une innéité adéquate à ses existences antérieures, un degré de perfection ou d'imperfection en rapport avec la perfection ou l'imperfection de ces mêmes existences. Il progressera plus ou moins dans la vie qu'il va parcourir, selon qu'il aura vécu antérieurement. Quoique étant meilleur dans sa renaissance, quoique s'étant transformé dans la mort et ayant progressé dans le sein de Dieu, il se ressentira cependant de l'infériorité de sa vie antérieure. Mais cette infériorité, relative à une époque, n'a rien d'absolu, de fatal quant aux existences futures; elle peut, en vertu de la perfectibilité indéfinie de l'être humain, s'effacer peu à peu et enfin disparaître. La Doctrine de l'Humanité ne peut-elle pas présenter avec assurance cette solution des problèmes qu'on a compris sous les dénominations de péché originel et de dogme des peines et des récompenses ? "

. Les Ouvriers A – Desmoulins

" Avant de parler de la vie des ouvriers, de montrer ce que devient l'homme, c'est-à-dire l'être sensation-sentiment-connaissance dans cet état, il nous semble utile d'examiner la situation de l'industrie,  et de rappeler la lui économique qui régit actuellement le travail. En effet, si l'on met en oubli cette loi, comment s'expliquer la situation du travailleur ? "

" Du reste, c'est un travail aisé maintenant; la statistique des inégalités sociales est faite. La pente rapide et fatale qui entraîne la société à sa ruine complète est connue, et personne aujourd'hui n'ignore la grandeur du péril, l'imminence de la catastrophe. Sans chercher nos preuves dans des calamités récentes, que nous ne pouvons cependant abstraire de la situation générale, il nous serait facile de démontrer encore ici ce qui a été démontré à satiété, ce que chaque jour confirme et vérifie de la manière la plus évidente pour tous , savoir :  Que l'organisation des sociétés les plus civilisées est telle actuellement que les efforts du plus grand nombre , dans cette vaste association , au lieu de concourir à l'accroissement des ressources générales se détournent de leur direction véritable, et sous l'influence du capital, contribuent à la fortune des quelques particuliers qui le possèdent, au détriment de la force réelle, vitale, des Etats. Tout le monde conçoit que l'activité humaine, s'exerçant dans cette voie, se précipite, vers l'abîme avec une vitesse qu'elle augmente à chaque instant , semblable en cela à cet aveugle qui, trompé par l'ironique méchanceté de Lazarille, et croyant franchir un large fossé, s'élance contre un mur, et va s'y briser de toute la force qu'il avait rassemblée pour son salut. " ( ...) 

" Qui pourrait, nous Je répétons, s'étonner du tourbillon de maux qui souffle à cette l'heure sur l'Europe, en présence de cet accroissement fatal, nécessaire, de la richesse de quelques-uns aux dépends des nations, au prix du sang d'un peuple immense? Il n'y a rien de plus facile à expliquer. Au-dessus de toutes les forces de la nature divinisées et représentées sous la forme humaine, les anciens avaient placé le Destin , issu du chaos et souverain invincible des dieux et des hommes; comme eux, nous ayons placé au-dessus de tous les éléments sociaux, de tous les sentiments humains, de toutes les puissances de la pensée, une force analogue: c'est le Capital. Or, la croyance au Destin, à la Fatalité a maintenu l'esclavage dans homme jusqu'à ce que sa force intérieure lui ait été révélée; la croyance au Capital maintiendra le prolétariat dans l'homme jusqu'à ce que, connaissant la loi de sa nature , il organise la société conformément à cette loi, et sache profiter des ressources nouvelles qu il commence à découvrir dans ses rapports avec la nature." (...) 

" ,, Voilà donc notre progrès depuis cinquante ans. La population a B augmenté. il est vrai de neuf millions; mais sur ces neuf millions ., d'accroissement de population, il y a CINQ MILLIONS de misérables (1). » Ainsi donc ce grand fracas de marteaux, ce grand bruit de travail, toutes les clameurs de la production aboutissent là ; et pendant cinquante ans le peuple de France a déployé toute sa force , toute son ardeur, toute son intelligence; il a sacrifié à l'héroïsme du travail tous ses élans généreux, tous ses glorieux souvenirs: pourquoi ? pour accroître , presque dans la proportion d'un à trois, le domaine de la misère,  pour augmenter la population de cinq millions de misérables ! " (...) 

" Aussi que maintenant le nombre des suicides augmente de jour en jour, et soit de jour en jour dépassé par le nombre des victimes de la faim; que le meurtre, l'incendie et le vol se déchaînent contre la civilisation; que la corruption détruise l'Etat; que la prostitution, l'adultère et les plus honteux égarements dans la passion déchirent la famille; qu'une lèpre hideuse se communique à toute une génération. .et qu'une lèpre morale plus funeste encore dessèche son cœur; que les tours se ferment devant le nombre toujours croissant des enfants abandonnés; que la vieillesse impuissante au travail demande en vain un asile à cette société qui n'agit que pour s'anéantir de plus en plus; nous ne nous en étonnerons pas. " ( ...) 

" Dernièrement une locomotive s'échappa des mains de l'homme et s'élança seule sur la voie. Celui qui de loin la voyait poursuivre s1a course n'éprouvait ni crainte ni étonnement; c'était pour lui quelque message pressé, voilà tout : mais le mécanicien inquiet qui l'avait quittée trop tôt frémissait d'épouvante en prévoyant une catastrophe inévitable. Ainsi s'élance, et court, et se précipite l' activité humaine soumise à la force d'exclusion du Capital. Seulement quand la machine heurta contre un obstacle, il ne jaillit pas de sang de son cylindre entrouvert; et si un gémissement aigu et profond s'en échappa, ce n'était qu'un peu de vapeur qui sortait avec force d'un tube de fer déchiré;  En effet cette machine, assemblage insensible de métaux, n'éprouva aucune douleur en se détruisant ainsi, et les matières différentes que l'homme avait réunies pour l'en composer ne continuèrent pas moins leur vie pour avoir cessé de fonctionner sous la forme que sa volonté leur avait fait prendre. Mais il n'en est pas ainsi de l'industrie. Sous quelque aspect qu'on la considère, dans l'instrument ou dans le produit, dans le travail ou dans la consommation, en elle-même ou dans ses rapports, c'est du sang humain, ce sont des sentiments humains , c'est de la science humaine qu'on a sous les yeux; c'est l'homme, c'est la société, c'est l'Humanité tout entière qui manifeste l'une de ses trois facultés, l'activité. 

Ici donc se révèle une autre face de la question de l'industrie:  Après avoir, avec les économistes, examiné l'état général de la société, distingué les classes, établi le rapport et la proportion de. leurs ressources, en faisant abstraction des individus, et se bornant a une sorte d'historique de la production, de la distribution et de la consommation des richesses, il reste à montrer l'application de ces LOIS à l' individu, aux relations sociales; il reste à rechercher quelle est l influence qu'elles exercent sur les rapports des hommes, sur les disposition intérieure que chacun d'eux y apporte. Cette tâche, qui sort du domaine de l'économie politique, s'adresse surtout aux artistes. Ce sont en effet des artistes, des poètes qui ont peint les horribles souffrances de l'homme sous l'empire des castes de familles. Ce sont de même des artistes, des poètes qui ont retracé les divisions, l'esclavage et les déchirements de l'homme sous l' empire des castes de patrie. Ce sont aussi des artistes, des poètes, qui doivent révéler les épouvantables douleurs de l'homme sous l'empire des castes de propriété. Aussi que de cris et d'imprécations , que de plaintes s'élèvent déjà! Cette fois les voix viennent de partout, car tout homme se sent atteint. On rapporte qu'un roi de Perse, outragé dans sa puissance par les peuples de la Grèce, chargea un de ses officiers ( CITANT LE LIVRE D'ESTHER ? ? ? ) de lui rappeler .chaque jour leur révolte; il semble qu'aujourd'hui chacun s'impose envers la société une charge semblable à celle que cet officier devait remplir près de Darius, et se fasse un devoir, chaque jour aussi , DE RAPPELER SES SEMBLABLES AU SENTIMENT DE LEUR DOULEUR  communes en leur montrant ses propres plaies. C'est qu'en effet tous sentent plus ou moins qu'il suffirait, pour détruire le mal, de le faire connaître jusque dans son principe; que du jour OÙ chacun, rentrant en soi, en appellera à sa propre conscience DES MAUX AFFREUX QUI CHASSENT L'HUMANITE DE LA TERRE  ces maux disparaîtront, et laisseront la vie humaine se répandre et  se développer suivant ses lois véritables. Ah ! certainement, si le spectacle des souffrances qu'endurent les hommes sur toute la surface du globe, à, cette heure où nous parlons, était offert à chaque homme; chaque homme reconnaîtrait l'effrayante responsabilité qui pèse sur lui; chaque homme se sentirait intéressé au salut de son semblable et s'y consacrerait tout entier.

" C'est en vue de cet appel à la conscience humaine que nous parlons aujourd'hui de la 'vie des ouvriers des villes. Déjà dans cette Revue une personne, touché des misères, des ténèbres qui remplissent la vie du travailleur, en a tracé avec la plus grande vérité et le plus bel esprit de charité la condition des ouvriers de nos campagnes, les paysans.  On le voit, notre travail serait en quelque sorte le complément du sien, si nous avions les mêmes qualités et le même bonheur. Il y a, en effet, plus d'un rapport entre la situation du travailleur agricole et celle du travailleur industriel, tous deux courbés de fait sous la même loi du salaire tous deux plongés dans une obscurité intellectuelle également dangereuse, également horrible, quoique différente. Quand on songe à l'existence que fait à tous les deux la loi du Capital, la loi homicide que nous -venons de rappeler; quand on se représente sous un seul regard de la pensée toutes leurs misères, toutes leurs souffrances, le dénuement complet de l'intelligence du paysan, la fausse culture de celle de l'ouvrier, on ne peut s'empêcher de penser à ces paroles que, dans le poème du Dante, Virgile lui adresse, après qu'ils ont franchi tous deux la porte mystérieuse et fatale : « Nous sommes arrivés au lieu où je t'ai dit, au lieu où tu verras " la gent en proie à la douleur, la gent de ceux qui ont perdu le »bien de l'intelligence (1 )." (...) 

" Plus le travail se divise, et plus il devient inintelligent; plus les produits se multiplient, et plus ils perdent de valeur réelle. Comment en serait-il autrement ? Le véritable producteur, malgré tout, ce serait l'homme, l'homme complet, associé; l'homme développé sous les trois aspects de la nature humaine; le Capital, au contraire, repoussant l'homme, tend à une organisation telle que le travail y puisse être infiniment divisé, et se réduise, pour chaque travailleur, à un seul mouvement toujours le même. Alors plus d'apprentissage ni d'éducation, ni d'instruction pour l'enfant; plus, par conséquent, aucune puissance, aucune dignité, aucune volonté clans le travailleur; plus aucun recours pour le vieillard. Tout ce qui ne produit pas encore, et tout ce qui ne produit plus, perd le droit de vivre." (...) " ( ...) 

" nous avons vu, en France, disons-nous, sous cette loi fatale, soixante cinq millions d'êtres humains bannis de la terre dans l'espace de cinquante ans. Il resterait maintenant à connaître quelle est la vie du plus grand nombre de ceux qui ont pu y rester malgré elle. Nous avons vu où va le travail, voyons maintenant ce qu'est le travailleur. Sondons les mystères de sa vie , non plus seulement, comme les économistes et les statisticiens, au point de vue de ses alternatives de travail et de chômage, mais au fond et dans son ensemble, dans l'intérieur comme à l'atelier; embrassons-la sous ses trois aspects principaux: la vieillesse, l'âge mur, l'enfance.

Honneur et vénération aux vieillards ! dépositaires sacrés des traditions, ils ont droit à tout notre respect. leur front blanchi et plein de souvenirs est comme un vivant symbole de la patrie. Ils sont un lien pour toute leur famille: les jeunes filles el les femmes les soignent à l'envi l'une de I'autre. l'homme mûr aime à consulter leur expérience, et les petits enfants se plaisent à chercher auprès d'eux, en même temps que le charme des longues histoires, je ne sais quels rapports intimes par lesquels leurs âges si différents se touchent et s'unissent. Honneur et respect aux Vieillards! Ils passent, calmes et réfléchis , retournant aux mêmes heures aux mêmes lieux, et rappelant un à un tous leurs actes, comme si , au moment de quitter une forme usée, ils éprouvaient le besoin de résumer et en quelque sorte leur vie écoulée sous cette forme; ils passent lentement, la tête inclinée sous le fardeau de leurs manifestations, et reviennent s'asseoir au foyer, appelant autour d'eux des êtres chéris, afin de savourer le bonheur de voir encore se révéler cette jeunesse, cette force , celle vie enfin , auxquelles ils se sentent d'autant plus attachés qu'ils en semblent davantage éloignés. Ainsi comme leur visage bienveillant s'épanouit aux ébats de l'enfance, aux clou ces confidences des jeunes gens, aux tendres caresses des vierges! Comme le spectacle d'une existence qui commence, d'un sentiment qui s'éveille, les pénètre et les réjouit! Oh! ne vous étonnez pas de les voir ainsi bons et doux,  ces vieillards que l'âge a courbés, que les infirmités ruinent chaque jour, que la mort menace à chaque instant; ne vous étonnez pas de la sérénité de leur âme: ils savent. Leurs longues meditations les ont peu à peu éclairés sur la vie et ses mystères. L'expérience. des hommes et des évènements, une vie remplie , une étude sérieuse de la nature humaine et de la destination dans la pensée de Dieu, leur ont révélé l'Idéal. Maintenant leur pensée remonte sans trouble le fleuve des temps, car elle s'explique le tumulte impétueux de ses flots. La tradition de l'Humanité se mêle, pour ainsi dire, avec leurs propres souvenirs; et ils considèrent leur histoire du même œil qu'ils voient l'histoire du genre humain, ou pour mieux dire, comme un développement de l'être Humanité qu'ils sentent en eux, en chacun d'eux, toujours nouveau, toujours jeune, toujours prêt pour de nouvelles manifestations. Sans regrets pour le passé qu'ils jugent, rassurés sur l'avenir , ils profitent de leur état présent pour détruire le mal qu'ils découvrent encore en eux, c'est-à-dire tout ce qui dans leur être peut nuire au développement et au perfectionnement de l'être Humanité, et ils s'avancent vers la tombe sans terreur; car ils ont la certitude de revenir, produits à leur tour par les générations qui sont sorties d'eux, se manifester de nouveau sur la terre, et réaliser d'une manière plus libre et plus efficace le type idéal Humanité. " (...) 

" Mais si ceux-là demandent toute notre tendresse, que ne devrons nous pas à ceux qui, outre ces douleurs morales qui prennent naissance dans !a famille, ont à endurer toutes les horreurs de la misère présente. toutes les appréhensions de l'avenir? Oh ! c'est une vie dont on ne peut concevoir l'amertume, et qu'il faut renoncer à peindre! Aussi , comme il y a un terme où s'arrêtent les puissances de la douleur , un certain nombre de ces vieillards dénués échappent par l'insensibilité et la ruine de toutes leurs facultés à l'horreur de leur état; et pour peu qu'ils trouvent dans les débris de leur famille, ou dans la charité publique, ou dans quelque établissement de l'état, les secours indispensables à leurs besoins chaque jour restreints, ils vivent, si l'on peul appeler vie ce néant véritable où ils sont ensevelis. Et pourtant ce néant est encore l'ambition de ceux qui , parmi ces vieillards déchus par les sens, par le cœur et par l'intelligence, manquent de secours,  de ceux qui n'ont pas de famille, qui n'ont qu'une -part incertaine dans les dons de !a charité, ou qui ont vu se fermer devant eux les établissements de l'Etat. Une seule faculté survit en eux au désastre de leur être: la crainte. Ils sont dans une continuelle inquiétude. Tous leurs désirs se rapportent à eux. Tout leur être n'aspire plus qu'à se conserver; et plus il s'appauvrit et se délabre , plus ils s'y sentent rattachés par instinct. Alors cette vieillesse devient hideuse et l'on conçoit jusqu'à un certain point le mépris qu'elle inspire à ceux qui la considèrent isolément. Quoi de plus repoussant en effet qu'un être chez lequel il n'y a plus ni dignité ni sentiment. C'est l'image de la mort, ou plutôt c'est là la mort, il n'y en a pas d'autre, et celle-là ce sont les hommes qui la créent. Oui, ce sont les hommes; c'est la société toute entière qui conspire à cette ruine de l etre humain. La meme loi qui en France a banni, en cinquante ans, soixante-cinq millions d'êtres humains de la terre, condamne au non-être le plus grand nombre des vieillards invalides, des travailleurs qui survivent aux dangers du travail et à ses énormes fatigues." (...) 

c'est de réparer cet abandon, de rechercher les vieillards,  de les secourir, de les adopter, comme a fait la Révolution; c'est de les consoler, de les rassurer sur l'avenir en leur montrant les principes pour lesquels ils ont tous soufferts , développés agrandis par la Science  reliés à toute la Tradition, étendus à toute la vie,  C'est  un devoir pour les fils de la Révolution, c'est-à-dire pour ceux qui  la continuent; mais c'est aussi pour eux une nécessité. Car, si, seIon l'admirable expression de Leibnitz, " le présent, engendré du  passé, est gros de l'avenir, il est nécessaire, pour y découvrir  le germe d'une société nouvelle, de chercher dans les flancs de la société actuelle les restes des générations qui  l ont formée et qui vivent encore en elle. Selon nous, toute question doit être examinée sous ce triple aspect du passé, du présent, et de l' avenir. _Nous ne. croyons donc pas etre sorti de notre sujet en parIant ams1 des vieillards, en rappelant, sur les ruines de la cité, ce culte des Pères, qui inspira autrefois aux héros de la Nation, ou comme on disait, de la Patrie, tant d'actions éclatantes." (...) 

" La République avait sans doute senti toute la grandeur de ce devoir, toute  l'importance de cette necessité, lorsqu' elle mettait au même rang,  parmi les bienfaiteurs de l'Humanité auxquels elle accordait le titre de citoyens français, ceux qui secouraient des vieillards et ceux qui adoptaient des enfants. Elle ne craignait pas, elle, l'active, la révolutionnaire, la guerrière, de diminuer ses ressources et sa puissance en les étendant ainsi sur les infirmes et les délaissés. Au contraire, elle sentait que l'exemple du bien, le développement des sentiments de charité et de reconnaissance, étaient Ia base véritable de sa force, elle comprenait en même temps que bien qu' ennemie du passé, qu'elle avait pour mission d attaquer, elle était liée néanmoins aux pères de ceux qui la défendaient, et qu elle leur devait à la fois des honneurs et des secours. En rappelant ce temps et l'héritage de devoirs qu'il nous a laissé,  il serait peut-être à propos de rassembler une certaine quantité de faits, afin de présenter le tableau de la vieillesse dans tous les caractères qu'elle révèle, dans toutes les conditions où la place l'Industrialisme. Né dans une famille d'ouvriers, ouvrier nous-même, nous n' aurions pas besoin de chercher bien loin de nous, ni de remonter de beaucoup dans nos souvenirs, pour trouver des exemples en grand nombre. Mais nous aimons mieux nous arrêter, a un seul, qui puisse servir comme de type pour donner l'idée de l'ensemble, et c'est cet exemple, ce fait, que nous allons essayer de présenter dans toute sa vérité."

. «  Buzançais » Mme ***

" Aux époques d'erreur, d'aveuglement et de vertige, quand la société semble s'être jetée dans quelque impasse boueuse et obscure où les plus forts passent sur le corps des plus faibles, parfois le ciel se déchire, s'ouvre; un éclair s'en échappe, et projette sa sanglante lumière sur les misères et les crimes qui se dissimulaient dans l'ombre. Alors tout s'agite; il s'élève une immense clameur formée de plaintes et d'imprécations, de cris de douleur et d'effroi ... Mais  l'éclair s'éteint aussitôt; la situation se calme le bruit s'apaise; ce n'est plus qu'un froissement, qu'un' murmure. Le mouvement ce sont les convulsions de l'agonie des victimes qui ont voulut se relever et qu on étouffe;. le bruit,  c est le râle des vaincus, la sourde menace des vainqueurs, qui tremblent encore et n'osent croire a leur triomphe.  Notre hiver, arec son affreuse disette, avec les émeutes qui en sont la conséquence, avec ses meurtres enfin, notre  hiver a été un de ces terribles éclairs qui révèlent tout à coup à une société égarée la profondeur de l'abîme où elle  est tombée." (...) 

" Il y a quelque temps, au mois d'août dernier, j'ai essayé de peindre l'état de lutte et d'antagonisme où vivent le propriétaire et le paysan. L'insuffisance de la récolte était déjà connue alors, on en prévoyait quelques consequences; mais on attendait, on espérait, on tâchait d'y penser le moins possible ...... Oh ! que de révélations pendant ce cruel hiver ! Si j'avais assez de talent, assez de sang-froid pour me faire comprendre, comme j' éclairerais de vives lumières l'horrible crise où nous nous débattons. Non ! non ! ce n'est pas un duel, ce n'est pas une guerre ! Le duel a son institution, ses statuts chevaleresques; la guerre a ses ménagements, ses coutumes loyales. Ce n'est ni un duel, ni une guerre, c'est une chasse ! une chasse, non de l'homme à la bête, mais de l'homme à l'homme, du frère au frère! Les misérables! ils se sont tellement identifiés avec leur rôle, que si les uns ont pris Je sang-froid cruel, la légèreté sanguinaire du chasseur, les autres ont contracté la sauvage férocité de la bête fauve! ... La faim, dit le proverbe, fait sortir le loup du bois. Ici le proverbe a eu sa complète application. Le peuple demandait du pain, et voulait le pillage ; le riche donnait et cédait tant qu'il était seul et faible, il reprenait son assurance et défendait ses droits quand il s'était entouré de baïonnettes. Du reste, rien d'extraordinaire, rien d'imprévu ne s'est produit dans les émeutes qui ont eu lieu. Ce n'était que l'expression plus nettement accusée de la sombre défiance. de la crainte sournoise et de la haine sourde qui règnent entre les deux partis." (...)

Le meurtre de Chambert et la terrible condamnation des coupables est un-des faits de cette horrible chasse humaine.

La bête blessée dans un de ses membres se rue pleine de rage sur l'agresseur isolé. Celui-là paie pour tous les autres. On assouvit sur lui cette vieille haine qui ne demandait qu'une occasion et de la hardiesse pour se produire. Chambert, pour eux, ce n'est pas un homme; c'est un bourgeois, c'est un riche, c'est un ennemi, c'est un oppresseur; et cette pensée est si bien celle de ces gens, qu'ils croient faire une révolution. Cependant ils sont pris, arrêtés; la bête est muselée, enchaînée, qu'en fera-t-on? Ici la chasse est suspendue Eh bien! on y substituera la boucherie!. .. Qui pourrait blâmer? ne sont-ce pas des représailles? Il s'agit bien vraiment de pitié, d'humanité, de dignité même! Il faut tuer ou être tué soi-même. Encore un peu de temps, el, si nous continuons ainsi, le mot d'ordre de notre société sera un sauve qui peut général." (...) 

Oh! l'argent! le capital! la propriété! monstrueuse idole qu'un peuple égaré adore aujourd'hui, que de larmes, que de sang coulent sur tes autels ! Et vous, prêtres fanatiques de ce nouveau culte, économistes sans entrailles, théoriciens impitoyables, où prétendez-vous donc mener la société qui écoute vos prédications, qui recueille vos oracles ? Faut-il donc, mon dieu ! aller jusqu'au bout de la voie fausse où nous sommes engagés! faut-il laisser s'envenimer jusqu'à la gangrène la plaie immonde qui nous dévore, avant de nous arrêter, avant de chercher à nous guérir ! Faut il qu'avant de reconnaître, de proclamer et de respecter le droit à la vie matérielle que tout homme apporte avec lui en venant au monde ; faut-il donc que la moitié de l'Humanité ait, comme un vampire, sucé, absorbé le sang et la vie de l'autre moitié de l'Humanité ? La misère doit-elle augmenter, Seigneur? la faim, qui cet hiver a tourmenté les entrailles de tant de familles, la faim qui en a tué tant de milliers doit-elle les tuer tous? Faut-il que ce pain grossier et insuffisant qui soutient et prolonge la misérable vie de ces inutiles se convertisse en quelque mets bizarre et nouveau que l'industrie culinaire inventera à grand frais, pour réveiller l'appétit blasé du riche? Faut-il que de tous ces haillons qui cachent à grand'peine la nudité d'une troupe de misérables, on tire une somme suffisante au perfectionnement d'un des riches tissus de soie qui tapissent mollement l'intérieur d'une calèche? Tous ceux qui sont de trop enfin , tous ceux qui n'ont pas de place au banquet de la fortune doivent-ils s'en aller ? " (...) 

" Ainsi tous nos penseurs ou tous nos raisonneurs sont d'accord pour reconnaître que l'état actuel des choses ne peut se maintenir ni durer longtemps.

- Le petit nombre de ceux qui sont restés attachés aux lambeaux du catholicisme expliquent et justifient le mal présent et passé par le péché originel, et cherchent à consoler les âmes par les promesses d'une vie future.

- D'autres, qui prétendent partager les idées de Fourier et de son école, voient comme un idéal de bonheur complet et parfait la jouissance des biens matériels (1).

- Mais les plus nombreux, les plus conséquents, les plus raisonnables et les plus raisonneurs de nos théoriciens, ce sont les Malthusiens au petit pied qui gémissent de l'excès de population, et qui en demandent naïvement la réduction aux bienfaits de la guerre. Il y a encore chez ceux-ci divergence de principe et d'application. Ainsi ces messieurs qui demandent une bonne guerre pour purger la société -de tant de bouches inutiles, de tant de bras dangereux, et qui ne voient_ d'autre remède au mal de la société que boulets de canon, sang et carnage, sont pourtant à tout prendre de bonnes gens qui ont nourri leurs métayers cet hi,er, qui ont contribué à l'établissement d'un grenier d'abondance dans leur commune, qui ont fait enfin des sacrifices ... Mais en allant au fond des choses, en scrutant la pensée, à quoi se réduiraient ces manifestations de bienfaisance et de charité? Je ne veux pas parler de la peur qui a bien pu forcer quelques-uns à jeter sur le tapis de jeu une petite pièce destinée à en sauver de grosses, laquelle petite pièce l'habile joueur saura bien rattraper quand la veine lui sera revenue. Mais laissons de côté ce vilain sentiment de la peur, descendons plus bas ... Quand une bête de somme est sur la litière, quelque avare que soit son maître, il n'hésite pas à payer un vétérinaire, à se procurer les médicaments nécessaires à la guérison de l'animal : le besoin qu'il a de son travail lui impose ce sacrifice. Les bras d'un homme affamé auraient peu de force pour remuer la terre ; et si les paysans déjà clairsemés se décimaient par la faim, les récoltes s'amoindriraient en proportion. Le propriétaire ne se montre plus humain, plus charitable que l'industriel en général, que parce qu'il est plus empêché." (...) 

Hélas !  hélas !  je le répète, tout ce que nous voyons est la triste, l'horrible confirmation de ce que j'ai avancé plus haut. Notre société est une chasse humaine plus ou moins bien organisée, mais hideuse à voir; car le chasseur et le gibier qu'il poursuit sont de même nature, et la possession des armes établit seule une différence. Aussi voit- on ceux qui sont poursuivis, devenir chasseurs à leur tour, s'ils ont pu s'emparer de quelque arme, et marcher eux-mêmes à l'extermination de ceux dont naguère ils faisaient partie. Mais n'y a t-il point de remède à tant de maux? Faut-il douter, désespérer de l'avenir, parce que le présent s'assombrit de plus en plus ? Faut;-il enfin renoncer à chercher la solution du problème social, parce que plusieurs solutions erronnées dans leurs principes, impossibles ou désastreuses dans leur application, se sont produites et se produisent chaque jour parmi nous ? "( ...) 

" Déjà des voix plaintives et gémissantes réclament au nom de la solidarité, de la fraternité humaine, contre les assassinats collectifs dont la' société se souille à toute heure. De courageux champions de la race proscrite jettent le gant aux puissants. et aux forts qui abusent de leur force et de leur puissance pour nous précipiter clans un abyme d'erreurs et de maux. Une immense pitié, une sainte indignation murmurent et bouillonnent au fond de tous les cœurs généreux. Je le répète, nos récents malheurs, ont jeté sur l'état de notre société des lueurs profondes. Les émeutes qui ont eu lieu ne sont pas des faits locaux et accidentels; le meurtre de Chambert n'est pas un crime privé, la décision du jury n'est pas un jugement ordinaire. II y a dans tous ces faits une puissante révélation, un enchaînement, une relation fatale avec ce qui se passe de plus intime, de plus mystérieux au sein des masses. Ce qui éclate au grand jour n'est que la conséquence nécessaire, indispensable, des principes mis en circulation dans notre société. ·Tout devait se passer ainsi ; et ceux mêmes qui s'opposaient à de sanglantes réactions, le savaient bien! La foi, l'espérance même du succès de leur cause manquait aux avocats qui prirent la parole à Châteauroux; ils prévoyaient que '' la classe qui possède et qui domine, eIle, ne transigerait point sur tout ce qui intéresse sa position privilégiée.» Et vous! noble cœur qui dans un généreux élan vous reprochiez de n'avoir pas été mettre votre talent et vos convictions au service des malheureux égarés qui ont payé si cher un moment d'ivresse; rassurez-vous, consolez-vous, votre éloquence, quelque puissante qu'elle soit, ne les eût pas sauvés. Ne nous décourageons pas toutefois, nous tous qui croyons aux consolantes révélations que Dieu fait aux cœurs honnêtes, et sachons découvrir dans le mal présent le germe du bien à venir. Ne nions pas les progrès incessants de l'Humanité. Il .n'est pas jusqu'à l'insecte caché au sein du fruit qui n'en hâte la maturité. Cette maturité arrivera, oh! n'en doutons jamais! L'idéal s'annoncera, se révélera pour l'Humanité tout entière! Une génération naîtra, qui rejettera pleine d'horreur cette tradition de la race de Caïn, et qui proclamera avec unanimité les principes au nom desquels il ne nous est donné aujourd'hui que de combattre. " 

. Souvenirs d'Algérie (6)

" ( ...)  Il est inutile de parler des grenadiers et des figuiers, qui sont in. gènes; quant aux mûriers, dont la culture doit nous exempter de payer à l'étranger un tribut annuel de 100 millions de francs (2) on nous en montre plus de 60,000 en pépinière (3), et on en a planté ou distribué aux colons, depuis 1842, plus de 30,000 (4) Depuis 1839 des essais répétés, bien qu'il n'y ait pas encore de magnanerie, justifient, par leurs résultats, l'assertion de M. Héricart de Thury: " Avec quelques perfectionnements, les soies d'Algérie pourront bientôt rivaliser avec les plus belles soies de France , réputées les plus belles du monde entier : Déjà de nombreux échantillons sont entrés dans le commerce. On encourage les colons on plante des mûriers sur les routes, dans les camps, dans les terrains militaires, et le climat favorise cette culture, surtout celle du murier blanc. Le multicaule est moins approprié. On a opéré jusqu'à ce jour sur cinq races de cocons: les deux races naturalisées depuis cinq ans (jaune .Milanaise et blanche Annoney) ont donné les produits supérieurs; peut-être faudra-t-il naturaliser les races avant d'arrêter un jugement définitif sur leurs qualités." (...) 

. Aux abonnés de la revue Sociale - Pierre Leroux.

Un peu de retard dans la publication de la Revue Sociale a donné lieu à quelques personnes, qui apparemment voient nos efforts avec chagrin, nous ne dirons pas avec jalousie, de pronostiquer la ruine prochaine de cette Revue. Ceux qui aiment la vérité, ceux qui la cherchent, ceux qui ont quelque estime pour les travaux sérieux, ont pu être attristés de ces bruits, et nous sauront gré de les démentir. Ce sera en même temps l'occasion de répondre à certaines critiques  qui nous ont été adressées, en disant avec simplicité ce que nous avons fait , ce que nous espérons faire. Quoi! s'écrient des esprits pétulants, voilà bientôt deux ans que 'Vous publiez 16 pages in-4° tous les mois, et vous n'ayez pas encore donné cette Solution pacifique du problème du proletariat annoncée au frontispice de votre recueil ! En vérité, vous avez perdu votre temps. Nous convenons que jusqu'ici nous avons plutôt fait de la critique dans cette Revue que du dogmatisme, et nous ne sommes pas surpris ·que quelques personnes nous en fassent un reproche. Mais ce reproche, selon nous, est injuste. Il est une vérité triviale: c'est qu'a tant d'édifier, il faut déblayer le terrain. Le terrain de l'intelligence est-il donc aujourd'hui si bien déblayé, qu'il n'y ait plus qu'à battir ?

Nous sommes-nous amusés à guerroyer contre de vaines chimères? Les livraisons publiées contiennent la réfutation de Malthus et celle de Fourier. Croit-on que les systèmes et les tendances que ces deux noms résument ne soient pas aujourd'hui répandus et enracinés dans la société?

. Malthus, c'est l'égoïsme; Fourier, -c'est le matérialisme poussé jusqu'au délire: 

Croit-on que l'égoïsme et le matérialisme ne soient pas longs à combattre? On s'était moqué de Fourier, on ne l'avait pas réfuté. On avait attaqué Malthus, on ne l'avait pas réfuté. Nous croyons que nous avons solidement réfuté l'un et l'autre.

. A Malthus nous avons opposé une grande vérité, qui n'avait pas ·encore été comprise: c'est que tout homme est, de par la nature, : producteur et consommateur, par un seul acte indivisible. Quand les esprits impatients qui nous accusent de trop de lenteur connaîtront la valeur de cette vérité, quand ils comprendront toute la portée de la loi que la métaphysique nous a fait découvrir et que nous appelons Circulus, ils verront qu'il ne nous a été donné de réfuter véritablement Malthus que parce qu'il nous a été donné de lui opposer un dogme bien positif. Toute critique supérieure, en effet, repose sur un dogme.

. Pour combattre Fourier, nous n'avons eu qu'à faire intervenir la formule donnée par nous de l'homme, il y a déjà bien des années : . L'homme est sensation-sentiment- connaissance indivisiblement unis et simultanément manifestés. Cette formule, qui avait vaincu autrefois l'Eclectisme, a vaincu le Fouriérisme. Mais elle n'a pu le vaincre qu'en se développant et en se fécondant elle-même. Sous ce rapport, nous rendons grâce à l'erreur de Fourier, qui nous a servi à découvrir ce qu'il n'a pas découvert, ce que nul n'avait découvert, un principe d'organisation pour la société humaine. Quand les esprits impatients qui nous accusent de trop de lenteur connaîtront la valeur de ce principe, quand ils comprendront toute la portée de la loi que la psychologie nous a fait trouver et que nous appelons Triade, ils verront qu'il ne nous a été donné de réfuter véritablement Fourier que parce qu'il nous a été donné de lui opposer une vérité bien positive et bien dogmatique. Toute critique, en effet, je le répète, pour être supérieure et décisive, doit reposer sur un dogme. (...) 

" Il est vrai que nous commençons à vieillir : nous avons vu le temps où les idées qui ont cours aujourd'hui sous le nom d'idées socialistes étaient le part age de deux ou trois rêveurs. Mais combien d'esprits ardents, après avoir franchi quelques stades de cette route difficile et escarpée qui conduit au but que nous poursuivons, se sont affaissés, soit par l'effroi des précipices, soit par la fatigue du chemin! Combien se sont arrêtés, sans oser ni avancer davantage, ni rétrograder l Combien ont pris le parti de descendre de la haute montagne, avant d'en avoir atteint les cimes l Que les jeunes gens épris des vérités qui ont coûté tant d'efforts à leurs prédécesseurs sachent donc ce qu'il faut de patience pour gravir ce chemin de la vérité que I'Evangile ,appelle le chemin du ciel, et. qui est à la fois étroit et entouré d'arbres. Eh quoi! ne voient-ils pas où en sont arrivés, après un demi-siècle de travaux et de meditations, de nobles intelligences, des plus nobles assurément et des plus vigoureuses de notre temps! Qu'ils considèrent l'anathème que jetait naguère, dans son découragement, M. de Lamennais sur toutes les écoles socialistes. Ah !. la vérité est plus difficile à découvrir que ne le pensent des esprits impatients et altiers. Quant à nous, si nous n'éprouvons pas cet affreux découragement qui en atteint tant d'autres, si au contraire l'espérance et la foi nous consolent de toutes les amertumes de la vie, c'est que, dès l'entrée du chemin, nous avons su les difficultés qu'il présente, et qui ne devaient pas lasser notre courage." (...) 

Que de cohues, sous le nom de partis et d'écoles, nous avons vues, depuis trente ans, se former et se dissoudre! Sous la Restauration, la cohue du Libéralisme a joui d'un certain éclat. Ceux qui juraient mort · aux tyrans sur leur poignard de Carbonari seraient aujourd'hui les plus cruels tyrans, s'ils n'étaient pas les plus corrompus des hommes. Nous avons vu, après la Révolution de juillet, la cohue Saint-Simonienne. Le Saint-Simonisme n'était pas une doctrine; c'était un synchrétisme, où des principes discordants luttaient ténébreusement les uns contre les autres. Nous ne demandons pas ce qu'est devenue cette cohue; nous craindrions de rencontrer la plupart de ceux qui arborèrent alors de nobles principes occupés de l'exploita· tion la plus honteuse qu'on ait fait subir à l'espèce humaine. . Et le parti républicain, comment est-il tombé? Sont-ce les prisons, les échafauds, l'exil, les persécutions de tout genre, qui l'ont réduit à n'être plus qu'un nom et un désir? Non; ce sont les antinomies de la devise de nos pères, liberté, égalité, fraternité, qui se disputaient dans son sein. Nous ayons aujourd'hui la cohue du Fouriérisme, qui, il faut bien le dire, ne vit que par les emprunts ou les vols faits à notre Doctrine, et qu'elle ne craint pas de rapporter à son absurde déité, comme pour arriver plus vite à la condamnation de toutes les grossières erreurs du plus aveugle matérialisme. Ce synchrétisme discordant trouvera sa fin par les mêmes causes qui ont détruit tant d'autres svnchrétismes. Le parti républicain a fait place au Communisme: c'est un progrès. Mais qu'indique ce changement? Que le parti républicain, après avoir été d'abord épris du premier terme de la devise de nos pères. liberté, en est venu à s'éprendre du second terme, fraternité. Il faudrait donc, nous le répétons, une doctrine qui fût l'explication finale de toutes les antinomies, une doctrine qui ne fût pas un synchrétisme, mais une synthèse. Cette doctrine, nous osons dire que nous la possédons. Et ce n'est pas un misérable sentiment d'orgueil qui nous pousse, nous et nos amis, à mettre cette assertion au-dessus des assertions secourables que peuvent faire toutes les sectes et toutes les écoles qui débattent aujourd'hui dans le domaine de l'intelligence. Non, c'est la foi qui nous commande d'affirmer notre foi. La Revue Sociale a été consacrée à la vulgarisation 'une doctrine dont la vérité commence à être éclatante aujourd'hui, la DOCTRINE DE L'HUMANITÉ. Dans l'ordre général des déductions, cette doctrine se compose de trois parties.

. La première est le DOGME, ou la Solidarité humaine;

. La seconde est l'ORGANISATION ou la Triade;

. La troisième s'occupe du rapport de l'homme a sa nature; elle pour objet direct la SUBSISTANCE, et nous en désignons les principes par le nom de Circulus, qui exprime la Loi divine en vertu de laquelle chaque homme étant à la fois producteur et consommateur a un droit incontestable à l'existence." ( ...) 

" L'industrie a pour cause et pour effet cet aspect du fait universel de la vie de relation que l'on appelle nutrition, elle a pour cause et pour effet la subsistance. Voilà pourquoi nous appelons SUBSISTANCE la troisième partie de la Doctrine. Nous préférons ce mot à celui d'Industrie, parce qu'il est plus philosophique, et qu'il entre plus profondément dans les questions qu'on désigne ordinairement sous le nom d'économie politique." (...) 

" Mais quelle est la base naturelle de la Morale? Sur quoi est fondée l'association humaine? Quelle est la loi divine qui cause cette association, qui l'a causée jusqu'ici, qui la causera toujours? c'est cette loi une, principe de la société, qu'il s'agit de connaître pour en prendre possession en nous, dans notre conscience, et la faire régner hors de nous dans la société, afin qu'elle perfectionne. développe , embellisse cette société. " (....) 

" L'idée que nous nous faisons de la Morale est donc assez différente de celle qu'on s'en fait ordinairement. On appelle ordinairement Morale soit un sentiment, soit un dogme ; les hommes de sentiment en font un sentiment, les hommes de connaissance en font un dogme. La Morale est bien cela, mais elle est autre chose ; elle est ou plutôt elle doit être un sentiment vivant, organique à la fois et organisé. La Morale, c'est l'association humaine, telle qu'elle résulte des Lois véritables de notre nature. Sans doute la Morale a pour principe Je sentiment; mais c'est Je sentiment non seulement compris, mais réalisé. Ainsi le sentiment de la fraternité humaine passe; aux yeux de beaucoup, pour être non pas seulement la base de la Morale, mais la Morale elle-même: ce n'est, suivant nous, qu'un appel à la Morale. C'est ainsi également que le dogme de l' égalité humaine, qui passe, aux yeux des plus avancés, pour constituer la Morale, n'est encore,, suivant nous, qu'un appel à la Morale, un prolégomène de la Morale. Donnez-nous, peut-on dire à ceux qui se contentent ainsi de prolégomènes, donnez-nous l'art d'organiser la fraternité et l'égalité, alors nous aurons la Morale: jusque-là nous n'en avons que le pressentiment, le désir et le besoin. Voilà pourquoi nous préférons appeler. la deuxième partie de la Doctrine de l'Humanité ORGANISATION plutôt que morale, parce que cette dénomination nous paraît plus philosophique, et qu'elle entre plus profondément dans les questions que l'on désigne ordinairement sous le nom de politique." ( ...) 

" Donc : Qu'est-ce que la Nature? -Quelle est cette loi à deux aspects divers• à deux tranchants pour ainsi dire, qui fait que chaque être mange et est mangé?- D'où vient que la vie se confond ainsi avec la mort? - D'où vient, au sein de la vie, cette nécessité de funérailles , de victimes , de sacrifices sanglants, comme dit de Maistre, et, sans laquelle il n'y a point d'existence? -Et comment se fait-il que, suivant la métaphysique profonde des langues primitives, le même mot désigne l'être et l'action de dévorer d'autres êtres (1)? Mais dans ce monde ainsi fait, dans ce monde où semble régner l'antagonisme, où la guerre paraît éternelle, où le meurtre est en permanence, comment les hommes, en lutte avec la Nature , en lutte avec eux-mêmes, en lutte avec les autres hommes dont les besoins veulent aussi être satisfaits , comment , dis je, les hommes pourront-ils ne pas ressembler à cette Nature où tous les êtres se dévorent? comment, dévorateurs • eux-mêmes, destinés à vivre en dévorant, et consumés de besoins, pourront-ils n'être pas ce loup furieux de Hobbes qui dévore les autres hommes? On le voit, nous sommes immédiatement transporté dans le problème de la subsistance. La Morale ne peut atteindre à sa fin, qui est l'association humaine, sans que ce problème de la Subsistance ou de l'Industrie ne soit résolu; et si la Morale est nécessaire pour créer l'Industrie , on peut dire qu'à son tour l'industrie est nécessaire pour créer la Morale, pour en faire autre chose qu'une abstraction et une pure virtualité. Donc la solution du problème du Prolétariat , considérée subjectivement, c'est-à-dire dans l'homme, est une synthèse où l'unité se révèle à la fois comme dogme, comme principe d'organisation, comme principe de subsistance. Pour nous , s'il faut répéter notre formule, la solution du problème du Prolétariat, considérée subjectivement, consiste dans une CONCEPTION NOUVELLE DE LA VIE exprimée dans ces trois mots : Solidarité humaine, répondant au terme DOGME; Triade, répondant au terme ORGANISATION; et Circulus, répondant au terme SUBSISTANCE. La TRINITÉ , qui est la VIE , qui donne à tout la vie , est l'unité et la vie du système." ( ...) 

" ( Voire Spinoza ) Pourquoi Dieu n'existe pas pour les physiciens. C'est une absurde erreur des physiciens de nos jours de regarder cet Univers, ce grand Tout, au sein duquel ils vivent, et au sein duquel vivent tous les êtres qu'ils considèrent , comme n'étant autre chose que de la matière et du mouvement , comme dépourvu par lui-même d'intelligence et de sentiment. Ce grand Tout, cet Univers, n'est pas seulement corps, mais sentiment et intelligence. Vous le considérez fragmentairement,' et voilà pourquoi vous le voyez corps; si vous le considériez dans l'ensemble et le lien des phénomènes, vous le sentiriez sentiment, et vous le comprendriez intelligence. Vous le voyez source des corps particuliers; c'est bien, mais dites-moi donc où est la source des sentiments qui battent au cœur des êtres, et des idées qui se forment dans leurs cerveaux, -si ce n'est pas lui. Il est source éternelle de la connaissance et du :Sentiment, comme de la sensation. Vous consentez à le voir sensation, à la bonne heure; mais avouez que si vous ne le voyez pas connaissance, et si vous ne le sentez pas sentiment, cela peul venir de ce que vous êtes vous-mêmes, au point de vue fragmentaire où vous vous êtes placés, dépourvus de sentiment et de connaissance. Vous dites: Cette lumière que les étoiles du ciel envoient à mes yeux est purement matérielle. Mais quelle absurdité! Qu'entendez-vous par ce mot : La lumière est matérielle. A votre point de vue, vous seriez déjà bien embarrassés d'expliquer cette assertion. Car qu'est-ce que la matière? La matière, suivant les physiciens, n'est-elle pas caractérisée par l'impénétrabilité et l'inertie? Or la lumière est-elle inerte, est-elle impénétrable ? ne se montre-t-elle pas toujours a clive, toujours pénétrable? est-elle pondérable? a-t-elle, en un mot, les caractères auxquels ,·ous reconnaissez ce que vous appelez la matière? Mais c'est peu que de remarquer ces choses. Est-ce que cette lumière peut se faire sentir à vous sans vous impressionner sentimentalement? est-ce que vous pouvez voir les lignes et les couleurs sans que le sentiment de la beauté, de l'harmonie, ou de la laideur et de la désharmonie, pénètre en yous? Si la lumière n'était que matière, comme vous l'entendez, expliquez-moi, je vous prie, comment le sentiment du beau se réaliserait à son contact dans votre âme! Si elle n'était que matière, expliquez-moi comment son contact vous fait penser, et vous suggère nécessairement des comparaisons, des jugements, des syllogismes, des raisonnements infinis. Comment, je vous le demande, ce qui n'est selon vous que matière, c'est-à-dire inertie et impénétrabilité, deux négations, vous fait-il sentir, comparer, juger, raisonner? comment ce qui est inertie et impénétrabilité vous émeut-il, et donne-t-il lieu dans votre âme à toutes les passions et à tous les transports ? Ne voyez-vous pas que vous êtes la dupe d'une grossière illusion, quand vous regardez cette lumière, qui vous verse l'intelligence et le sentiment avec la sensation , comme de la matière, selon l'idée que vous vous faites de la matière! Ne voyez-vous pas que ce qui vous donne la vie ne peut être que la vie, c'est-à-dire la Vie universelle, et que par conséquent, à travers cette lumière, cc qui vous arrive et pénètre en vous, c'est cette intelligence, ce sentiment, et cette sensation, que vous vous attribuez absurdement à vous et à vous seuls, tandis que ce qui en est à vous ne s'allume, pour ainsi dire, et ne s'enflamme qu'au contact de !'Océan de toute intelligence, de tout sentiment, de toute sensation, se manifestant à vous par l'intermédiaire de la lumière ! Conséquemment, il ne faut pas dire que cette lumière est purement physique et matérielle; il faut dire que C'EST L'ETRE UNIVERSEL, (lequel est à la fois intelligence-amour-et-corps) QUI SE MANIFESTE PAR CE CORPS QUE NOUS APPELONS LUMIÈRE' de même qu'un être vivant, qui est lui aussi, d'une manière finie, intelligence-amour et-corps, se manifeste à nous par son corps. C'est donc Dieu réellement qui se fait sentir à nous dans la lumière; et voilà pourquoi la lumière nous verse l'intelligence, le sentiment, et la sensation." (...) 

Ainsi nous sommes au sein de Dieu. Nous sommes tous ses enfants, comme disait S. Paul aux Athéniens, répétant à ces Grecs érudits les propres paroles de leurs anciens poètes. Nous sommes le fétus vivant dans son sein; et de même que le fétus reproduit la mère, nous reproduisons tous l'Etre qui nous a .engendrés et qui nous porte. Hommes, animaux, plantes, minéraux, êtres organisés ou inorganiques comme nous disons, astres ou lumière, tout être de la nature reflète l'Etre souverain qui est la nature, qui est la vie, et qui est aussi la ·cause. C'est en ce sens que Jordan Bruno, et clans ces derniers temps Schelling et Hegel, ont eu raison de voir Dieu dan~ toutes ses . œuvres. Chaque être, en ce sens, est Dieu, c'est-à-dire qu'il reproduit d'une façon quantitative, comme dit Schelling, l'Etre absolu, c'est-à-dire le parfait; il est l'absolu dans une certaine mesure. L'être particulier est donc toujours uni à Dieu par les trois faces qui constituent son essence, et qui, à l'état d'infini, constituent l'essence divine .  Voilà le premier mystère de la vie. L'autre mystère est la simultanéité ou l'unité de ces trois aspects de la vie soit en Dieu, soif en chaque être vivant au sein de Dieu. Le premier mystère est ce que le Christianisme et les antiques religions ont appelé l' Unité de Dieu. Le second mystère est ce que le Christianisme et les antiques religions ont appelé la Trinité divine." (...) 

" La vie est la pénétration, dans une certaine mesure , de l'infini dans le fini. Cette pénétration de l'infini dans le fini a lieu par simultanéité; c'est-à-dire que ce qui constitue l'essence de Dieu, ou les trois natures renfermées dans sa nature, pénètre simultanément et indivisiblement dans l'être particulier ou fini. L'intelligence se trouve ainsi partout, même dans les êtres les plus dénués d'intelligence. L'amour se trouve de même partout, même dans les êtres les plus dénués de sentiment. L'activité se trouve aussi partout, même dans les choses inertes. De cette loi de la pénétration de l'infini au sein du fini , résulte à la fois l'unité et la variété infinie de l'univers. " (...) 

" Pourquoi l'Humanité n'est qu'un mot pour les politiques du jour, Si Dieu n'existe pas pour les physiciens, l'Humanité n'est qu'un mot pour les politiques du jour. De même que les premiers ne voient dans l'univers que des êtres particuliers, et, comme ils disent , des corps, des atomes, des molécules ; de même les seconds ne voient dans le genre humain que des hommes particuliers, et, comme ils· disent, des individus. L'atomisme en physique et l'individualisme en politique se correspondent et se donnent, pour ainsi dire, la main. A la conception des savants, qui ont prétendu réduire la nature en poussière, répond la conception des politiques, qui réduisent la vie humaine · en poussière. Les uns et les autres, à force de faire de l'analyse, ont fini par trouver partout la mort, et ils .s'obstinent néanmoins à prendre la mort pour la vie ." (...) 

" Hé bien, il en est de même des hommes, du genre humain, et des peuples qui la composent. Retirez-leur la notion du lien invisible qui les unit, anéantissez l'idée de l'Humanité collective dont chaque homme est la manifestation individuelle; et toutes ces créatures, qui vivaient par l'intervention de l'être collectif appelé Humanité, seront troublées·, elles défailleront et retourneront en leur poudre. Ce ne seront plus des hommes conduits par le sentiment, éclairés par l'intelligence ; car vous aurez retiré à ces hommes la source générale du sentiment, l'ous les aurez privés du soleil de l'intelligence."

" Nous disions tout-à l'heure aux savants : Si vous ne voyez pas Dieu dans l'univers, c'est que vous l'anéantissez par votre folie. Vous ne voyez dans l'univers que des corps, parce que vous vous faites corps vous-mêmes, par une exagération absurde de la méthode des sciences naturelles, qui ont pour critérium de certitude l'expérience. Nous dirons de même aux politiques : Si vous ne voyez pas l'Humanité dans le genre humain, c'est que vous l'anéantissez par votre folie. Vous ne voyez dans le genre humain que des individus, parce que la méthode des sciences naturelles vous a égarés, parce qu'au lieu de prendre pour critérium de certitude le sentiment, qui est le vrai critérium de certitude quand il s'agit de la vie humaine collective, vous avez pris la sensation , à la façon des Naturalistes. Comment , ayant bouché pour ainsi dire les issues par lesquelles l'Humanité pouvait se communiquer à vous et pénétrer dans -votre âme, la découvririez-vous maintenant ? Vous la niez, vous dites qu'elle n'existe pas, que ce n'est qu'un mot, qu'il n'y a pas d' Humanité : je le crois bien! vous ne la sentez pas, et par conséquent vous ne sauriez la comprendre. Vous avez détruit en vous le sentiment; vous êtes l'aveugle qui nierait la lumière." ( ...) 

Quand il y avait en France une Bretagne , une Normandie , une Guyenne, une Bourgogne, et tant d'autres fragmentations de l'Unité qui guerroyaient aveuglément les uns contre les autres, qui se posaient sur la limite d'un fleuve, sur le versant d'une montagne, et disaient, comme ces enfants dont Pascal fait l'image de la propriété égoïste : • Ceci est â moi ; voilà ma place, ôtez-vous de mon soleil,  un homme qui aurait dit à tous ces patriotismes breton, normand, bourguignon, que la patrie c'était la France, aurait eu raison de le dire; mais il aurait pu encore ajouter que la vraie patrie, c'était l'Humanité. C'est, au surplus, je le répète, ce que toutes les grandes religions ont dit aux hommes; c'est ce que la Révélation a toujours dit, depuis ses plus anciens organes jusqu'aux plus récents. Ouvrez les Védas, prenez Confucius; interrogez la Bible, consultez l'Evangile. Vous ne voulez pas des livres saints, ouvrez les livres des philosophes, et choisissez les plus éversifs de toute religion. Sur les ruines de toutes les idolâtries, voilà Voltaire qui professait un culte: c'est celui de l'Humanité ! "

(...) " Le dix-huitième siècle et sa conclusion.

Les siècles avaient succédé aux siècles , et la prédiction de la. venue définitive du Messie et du règne de Dieu sur la terre ne s'était pas accomplie. Le Christianisme , qui avait vu la vérité sous cette forme, était tombé en tant que forme, parce que cette forme était fausse. Alors l'homme déshérité d'un ciel imaginaire, ne croyant plus ni à la venue de ce ciel sur la terre par un miracle, ni au vain paradis par lequel l'Eglise s'était efforcée de cacher l'illusion de la promesse, s'était tourné vers la terre. Les sciences physiques avaient remplacé la religion. L'homme s'était mis à chercher le ciel dans les atomes de matière. Marchez, légions d'esprits qui cherchez le ciel dans cette voie. Courage, Galilée ! courage, Képler ! courage, Bacon! courage. Newton! Que l'homme se rende maitre de la nature, qu'il étende ses sens, qu'il étende son horizon; qu'il grandisse et qu'il voie le monde grandir avec lui; qu'il oublie pour l'attraction des corps l'antique doctrine de l'attraction des âmes; qu'il se fasse chimiste, physicien, mathématicien, naturaliste; qu'il cesse d'être chrétien et même d'être homme; qu'il méprise la vie en lui, jusqu'à croire que la vie n'est que dans cc qui l'entoure ; qu'il n'ait plus d'idéal, qu'il soit tout-entier au présent; qu'il croie à la fatalité, et non plus à la providence; qu'il dise hautement de lui-même qu'il n'est rien que quelques atomes, et ,que tout n'est qu'un rêve, que rien n'est vrai ni faux, qu'un méridien change tout, qu'un grain de sable dérange la marche des choses , sans penser que tout est enchaîné jusqu'au grain de sable! qu'ainsi désabusé de tout, non pas sceptique, mais athée, il arrive à ne voir de légitime que l'égoïsme de la sensation et l'instinct des animaux: ; et que , par une grande ironie , sur la ruine de Dieu, de l'unité, de la providence, de la vérité, de la religion, de l'idéal, de la charité, de la vertu, sur la ruine de la philosophie, de la poésie, de la politique, il prétende, au nom de l'atome. au nom de la sensation , au nom de l'instinct animal , au nom de l'égoïsme , au nom de tout ce qui détruit l'unité , reconstruire un semblant d'humanité, un semblant de vertu, un semblant de religion, un semblant de Dieu .... qu'importe! courage, esprit humain! Dieu lui-même te pousse; et quand tu seras arrivé à Helvétius, à d'Holbach , et à La Mêtrie , Dieu saura bien t'arrêter et te détourner de cette voie. Du scepticisme de Montaigne , le doute s'était élevé par degrés jusqu'à la négation la plus complète de tout ce qui n'était pas palpable et démontrable par la sensation. L'invisible, l'infini, s'étaient voilés aux yeux des mortels L'esprit humain en était venu à préférer le néant à l'être, et à ne vouloir reconnaître de vivant pour ainsi dire que le néant et la mort. Vous nous avez trompés, s'étaient écrié les sages, vous nous avez menti, oracles des antiques religions; nous nous vengerons! Nous extirperons la foi du monde, nous renverserons la croyance, nous détruirons l'amour. Nous ne croyons qu'à ce que nous voyons, à ce que nous touchons. Il n'y a que des corps dans le monde; il n'y a que des êtres particuliers, et même il n'y a que les atomes qui composent ces êtres. Tout le reste est une illusion. Il n'y a pas d'invisible sous ce visible, pas d'universaux dans ces êtres particuliers, pas de Dieu. Il n'y a pas d'être sous ce corps que nous touchons. Ce corps est tout l'être. Il n'est pas la manifestation de l'être, il est l'être même. Au fond, le néant est l'être; car ce corps étant décomposé, ce qui constituait l'être est désagrégé, et il ne reste que le néant. La religion est-elle donc couchée dans le tombeau avec les morts, et Dieu n'est-il plus dans l'Humanité vivante! Qui représentera la vérité, qui représentera la religion dans ce dix-huitième siècle, où la vérité est méconnue, où la religion n'est plus comprise? 0 miracle ! les plus grands ennemis de la religion sont, sans le savoir , sur la voie de la vérité religieuse! mais, semblables à Ajax combattant les Dieux, dans Homère, un nuage obscurcit leurs yeux, et les empêche de voir que c'est la Divinité qu'ils attaquent. Avec quoi, en effet, attaquent-ils l'éternelle religion? Avec la religion elle-même. J'entends que la force qu'ils déploient contre la forme des religions passées, leur vient, sans qu'ils le sachent, des mêmes vérités éternelles que ces religions enfermaient sous leurs formes éphémères. Et en effet où prendraient-ils leur force , s'ils ne la prenaient dans la vie? Demandez à Voltaire quel est son dogme favori. L'incrédulité de Voltaire cesse quand il écrit le mot d'Humanité. Lui qui veut détruire ce qu'il appelle l'infame, c'est-à-dire, sans qu'il le sache, la doctrine de l'unité du genre humain, la doctrine de l'Humanité, il n'a de force que lorsque l'Humanité l'inspire. Voilà Diderot qui veut s'immortaliser dans la mémoire des hommes. Il croit au néant, et il veut vivre ; et croyant au néant, et par conséquent pensant qu'il ne peut vivre, il s'attache pourtant en désespéré au souvenir que l'Humanité vivante conservera de lui (1.). Il traite la gloire comme si c'était la vie; et ne pouvant se persuader qu'il aura la vie, il en veut au moins l'ombre. Allez plus loin, grands hommes. L'Humanité, c'est la vie de chacun de nous et la voie de chacun de nous vers Dieu. Vous ne repoussez pas l'Humanité, commencez donc par ne pas repousser Dieu, qui a mis la vie dans l'Humanité. La gloire, c'est l'ombre de la vie; mais l'ombre existe-t-elle sans le corps? Si donc vous avez en vous un tel sentiment du lien qui vous unit à l'Humanité , que cette Ombre subsistante de génération en génération vous paraisse quelque chose, croyez qu'il y a une cause de ce sentiment , une réalité sous cette apparence, et que votre être lui-même pourrait bien participer Au SEIN DE L'HUMANITÉ, de cette immortalité que vous osez garantir à votre nom. Rousseau!...... Voyez combien j'avais raison! voilà le doigt de Dieu qui vous ordonne de reculer, esprits du dix huitième siècle: Vous vous croyez victorieux; vous l'êtes, en effet, vous avez triomphé de ce ·qui devait disparaître. Vous avez été envoyés pour détruire, et vous avez détruit. Mais au nom de quoi en vertu' de quelle force divine avez-vous accompli votre œuvre; . Vous ne le savez pas vous-mêmes. Quel principe êtes-vous venus proclamer? vous l'ignorez. C'est Rousseau qui le dira. (...)  Cet homme nous ramènera à Dieu et à l'Humanité. " (...)

 Rousseau

Je ne parlerai ici de Rousseau que pour dire ce qu'il a fait: il a appris à tout homme à se regarder comme membre du seul souverain légitime. Immense et prodigieux changement qui fait de l'Humanité une race nouvelle! Comment s'est accompli ce changement ? Trois époques successives l'ont amené (je ne parle ici que de l'Occident, je .laisse de côté le monde primitif et l'antiquité orientale) : d'abord l'époque antique, où, à la vérité , le dogme de la communauté et de l'unité fut prêché, mais où l'unification du genre humain n'alla pas plus loin que l'égalité dans la caste; où les plus grands des hommes, les Minos, les Lycurgue, les Platon, n'ont pas enseigné autre chose, n'ont pas connu une charité plus grande ; ensuite. l'époque du Christianisme, l'époque de l'Eglise, où l'égalité fut constituée dans l'Eglise, en dehors d'un monde trop barbare pour la concevoir; enfin l'époque moderne, l'époque de la Réforme et de la Philosophie, où l'égalité a commencé à passer de l'Eglise dans la société laïque. Antiquité, Moyen·Age, Modernité, chacune de ces époques de la vie de l'Humanité en Occident répond à l'un des trois termes de la formule liberté-fraternité, égalité, que la Révolution Française, venant résumer tous les progrès antérieurs, a proclamée il y a déjà un demi-siècle, et dont la réalisation finale est l'œuvre qui nous occupe aujourd'hui. Chacune de ces époques correspond également à chacun de~ trois termes de la formule métaphysique de l'homme sensation-sentiment-connaissance. Et comment en serait-il autrement, puisque la formule politique liberté-fraternité-égalite ( 1.), qui a servi de devise à la Révolution française, n'est elle-même qu'une expression de la nature complète de l'homme, et une traduction fidèle des besoins de cette nature."

" La nature humaine nous donne trois termes distincts, quoique confondus clans l'unité de la vie: sensation, sentiment, connaissance. Ces trois aspects de l'être engendrent trois besoins, qu'on appellera droits ou devoirs comme on voudra : liberte, répondant à sensation; fraternite, répondant à sentiment; et egalite, répondant à connaissance. Er ces trois besoins intervenant dans le monde, ont créé l'histoire. Aussi l'histoire nous donne trois époques. La liberté répond à l'enfance de notre Occident, la fraternité à sa jeunesse, l'égalité à son âge mûr. Tout dans le développement de cet Occident s'est donc passé suivant la Loi même du développement de la vie individuelle. La liberté, correspondant à la vie de sensation, de manifestation, répond d'une manière prépondérante à renfonce. Les enfants aiment la liberté pour eux, mais ils sont volontiers sans pitié pour les autres, comme dit le poète, et surtout la notion du droit des autres leur échappe et leur est inconnue. La fraternité, correspondant à la vie de sentiment, répond d'une manière prépondérante à la jeunesse. La jeunesse est l'âge de l'amour, de l'amitié, et de l'enthousiasme. Enfin l'égalité, correspondant à la vie de connaissance, répond d'une manière prépondérante à l'âge mûr. L'Humanité , comme un seul homme , a donc successivement parcouru ces trois phases ; et elle finira par les réunir. La liberté reste le droit de l'homme moderne ; la fraternité, son devoir : mais l'égalité est la doctrine sur laquelle s'appuie à la fois son droit et son devoir. Et pourtant, bien que la nature humaine eût tendance à produire ces trois phases successives , il a fallu des initiateurs à la liberté , à la fraternité , à l'égalité. Il a fallu Moïse pour arracher l'Humanité au régime des castes d'Orient, et faire sortir d'Egypte la race juive affranchie et constituée en peuple; il a fallu Minos et Lycurgue pour enseigner aux Grecs la liberté dans la cité. Dieu .même il a fallu Jésus pour détruire à son tour les castes de cités ; et après lui son Eglise ayant formé une nouvelle caste , il a fallu Luther pour la détruire. C'est ainsi que l'esprit saint a été toujours détruisant les prisons successives où la faiblesse des hommes prétendait l'enfermer. Et chaque grand initiateur a toujours eu après lui des formulateurs , comme il avait eu des prédécesseurs. Et parmi ces formulateurs qui sont venus éclaircir et résumer l'initiation, il y en a eu un plus clair; plus profond, plus éminent à tous égards que les autres. C'est ainsi qu'on peut toujours, après l'initiateur, nommer son acolyte, quelque distance de temps ou d'espace qui les sépare. Et l'initiateur et son acolyte sont les coriphées de chacune de ces époques qui ont successivement incarné dans l'homme d'abord la liberté, ensuite la fraternité, enfin l'égalité. Or si Platon après Moïse représente admirablement la première, si Jésus suivi de Paul a été l'initiateur de la seconde, c'est Rousseau principalement qui après Luther a formulé la troisième." (...) 

" Ainsi deux choses à dire de Rousseau : il a été l'homme choisi au dix-huitième siècle pour nous ramener à Dieu et à l'Humanité en nous faisant concevoir notre égalité ; mais il ne lui a pas été ·donné de faire plus et de nous retremper dans cette double source de notre être.

La Révolution.

Un arbre croît, et, après avoir enfoncé ses racines dans le sol et produit une tige, il se couronne de branches, de feuilles, de fleurs, et de fruits. Mais cette tête dont il se couronne, ces feuilles, ces fleurs, ces fruits, restent unis avec la racine et la tige, au point de former un seul être avec elles, se nourrissent par elles, les font vivre à leur tour, et sont ainsi à la fois, dans la vie du végétal complet, effet et ,cause.

Irez-vous découronner cet arbre de ses organes supérieurs, et croyez-vous que ses branchages, détachés de la tige, et par là de la terre, produiront encore des fleurs et des fruits ? Ces branches supérieures, ainsi privées du suc qui les fait vivre , se changeront en un bois mort. Il en est de même de l'Humanité.

Elle croît comme un arbre; mais la tête dont elle se couronne ne doit pas être détachée de sa racine et de sa tige , sous peine de devenir sèche et stérile. L'Humanité a produit en dernier lieu le dogme de l'égalité : c'est là sa tète aujourd'hui. Mais ce dogme, séparé du dogme de la fraternité qui fut sa tige , et du dogme de la liberté dans la cite qui fut sa racine, ne peut que se flétrir et se dessécher. Quelque grand que soit Rousseau, nous ne blesserons pas le culte que nous avons pour sa mémoire en disant qu'il n'avait pas les vues nécessaires pour faire cette synthèse capable de constituer l'unité dans chaque homme et l'unité dans tous les hommes. Aussi l'arbre a été coupé, saccagé, mutilé, déraciné: c'est ce qu'on appelle la Révolution française; puis il s'est pourri, et les vers en font leur nourriture: c'est l'époque où nous vivons." ( ...) 

Leibnitz.

Comme doctrine, Rousseau , le plus grand des fils de Luther, ne dépasse pas Luther. Loin de là , il reproduit un protestantisme ;.(affaibli au milieu de la philosophie sceptique qui l'entoure et qui le pénètre). Il n'a pas de théologie, pas de philosophie de l'histoire, pas de psychologie, pas de morale, pas de science de la nature. L'unité lui manque, et rien n'est enchaîné dans son œuvre. Ce qu'il y a de beau en lui, c'est d'avoir été religieux sans doctrine au milieu d'un siècle d'analyse et de dissolution ; c'est d'avoir, à l'inverse de tous ses contemporains, appelé de toute l'exaltation de son âme cette religion qu'il sentait nécessaire.

Qui la représentera donc , au dix-huitième siècle, cette religion toujours existante comme Dieu qui en est la source, comme la Vie dont die est l'expression, comme l'Humanité dont elle est la parole? Qui? ... Leibnitz.

Quand un avenir plus lointain sera venu pour le dix-huitième siècle, chacun des athlètes de l'esprit humain à cette époque prendra sa place naturelle dans le panthéon de la mémoire humaine reconnaissante; et Leibnitz paraitra ce qu'il fut, le véritable esprit synthétique et universel de ce siècle. Mais tout homme est tellement lié à l'Humanité, que quand nous célébrons Leibnitz, ce n'est certes pas pour lui faire une gloire à part. Sa force vint des sources où il avait puisé. Leibnitz, c'est d'abord le Christianisme qui se transfigure. Et c'est aussi le Dix Huitième Siècle, dans son essence, qui se transfigure.

Quelle est, en effet, l'essence du Dix-Huitième siècle ? Je l'ai montré ailleurs; Le Dix.-Huitième Siècle, au fond, ce siècle d'analyse et de dissolution, n'a eu de puissance, même pour détruire, que parce qu'il 'était animé d'un sentiment divin, le sentiment de la perfectibilité humaine. Ce siècle commence par la querelle des anciens et des modernes, qui renfermait implicitement la doctrine de la Perfectibilité,  et il se termine par l'école de Turgot et de Condorcet qui léguèrent cette doctrine à la Révolution.

J'ai exposé ailleurs comment l'idée du progrès monte et s'élabore successivement dans l'esprit des hauts penseurs, et, de la thèse de Perrault, arrive, en passant par Descartes , Pascal, Bacon, Malebranche , et par une foule d'autres génies moins puissants, à former ce qu'on pourrait appeler le tempérament du Dix.-Huitième Siècle, cet esprit novateur qui regarde le passé comme l'imperfection et le mal, et qui aspire à un autre ciel et à une autre terre. Savant dans les sciences exactes ou d'observation comme Descartes, Bacon et Pascal, mais plus profondément métaphysicien et plus théologien qu'eux , Leibnitz ne se contenta pas d'admettre le progrès de nos connaissances , le progrès de l'homme et du genre humain ; mais il fit du progrès la loi du monde, la loi de tous les êtres ; et, transformant radicalement avec cette idée. l'antique système oriental de l' émanation, il fit (ce qu'on n'a pas encore assez vu) de la perfectibilité, la loi universelle." (...) 

" Les monades n'ont d'autre existence que l'existence qu'elles puisent en Dieu ; elles sont autant de limitations diverses de l'épanchement perpétuel, de la fulguration sans fin de l'essence divine; elles sont comme autant d'éclairs de la lumière éternelle. •Par leur être et leur essence, les choses créées dépendent de la volonté de Dieu; car tout ce qui existe a été créé par Dieu, tout ce qui subsiste est maintenu par Dieu. L'existence des choses est même, jusqu'à un certain point, une création prolongée. La création n'a pas été l'œuvre de quelques instants : elle n'a jamais cessé, elle dure encore; elle consiste en une sorte de rayonnement de l'essence divine, analogue au rayonnement de la lumière du soleil. Source et principe des choses, Dieu recèle en lui de toute éternité leurs types et leurs modèles; ils les combine et les modifie de mille façons; puis, en raison de son éternelle activité, il les réalise incessamment pour la meilleure fin possible. Participant de l'essence divine, les monades sont des forces et des agents, mais des forces et des agents du second »ordre. Or toute chose créée est douée de la faculté d'agir sur les autres choses créées en raison de son degré de perfection , et, au contraire, se trouve exposée à l'action des choses créées en raison de son imperfection. La monade est d'autant plus active, est douée d'une énergie d'autant plus forte, que ses perceptions s'éclaircissent davantage; au contraire ; elle est moindre en force et en énergie, à mesure que plus d'obscurité se mêle à ses perceptions. Mais au milieu de l'action et de la réaction perpétuelle des choses "les unes sur les autres, se manifeste incessamment suprême sagesse de Dieu. Obtenir la plus grande diversité réunie à la plus complète Uniformité, obtenir dans l'univers la plus grande somme possible de perfections, ou bien, en d'autres termes, créer, à chaque instant de la durée, le meilleur des mondes possibles, tel est le problème dont Dieu ne cesse pas de se proposer la solution (1).,, C'est ainsi qu'on a résumé l'ensemble de la théologie de Leibnitz. " (...) 

Citation de Leibnitz : " L'esprit n'est pas seulement une perception des ouvrages de Dieu; mais il est même capable de produire quelque chose qui leur ressemble, quoiqu'en petit. Notre âme est architectonique dans les actions volontaires, et, en découvrant les sciences ,suivant lesquelles Dieu a réglé les choses pondere, mensurâ, .numero, elle imite dans son département et dans son petit monde, où il lui est permis de s'exercer, ce que Dieu fait dans le grand. C'est pourquoi tous les esprits, soit des hommes, soit des génies, entrant, en vertu de la raison et des vérités éternelles, dans 'une espèce de société avec Dieu, sont des membres de la cité de Dieu, c'est-à-dire le plus parfait Etat formé et gouverné par le plus grand et le meilleur des monarques, où il n'y a point de crime sans châtiment, point de bonnes actions sans récompense proportionnée, et enfin autant de vertu et de bonheur qu'il est possible. Et cela, non pas par un dérangement de la nature, comme si ce que Dieu prépare aux âmes troublait les lois des corps; mais par l'ordre même et le développement des choses naturelles, en vertu de l'harmonie préétablie de tout temps entre les règnes de la nature et de la grâce, entre Dieu comme architecte et Dieu comme monarque; en sorte que la nature mène à la grâce et que la grâce, perfectionne la nature en s'en servant. Ainsi quoique la raison ne nous puisse point apprendre le détail du grand avenir réservé à la Révélation, nous pouvons être assurés par cette même raison que les choses sont faites d'une manière qui passe nos souhaits. Dieu étant aussi la plus parfaite et la plus heureuse, et par conséquent la plus aimable des substances, et l'amour pur véritable consistant dans l'état qui fait goûter du plaisir dans les perfections et dans la félicité de ce qu'on aime, cet amour doit nous donner le plus grand plaisir dont on puise être capable, quand Dieu en est l'objet." ( ...) 

Leroux : " Progresser donc toujours en connaissance , c'est-à-dire en connaissance- sentiment-sensation indivisiblement unis, progresser à travers le monde, en restant unis aux créatures et au monde, parce que le monde est une espèce de société avec Dieu, et que tous les êtres, mais particulièrement les esprits, sont des membres de la cité de Dieu, voilà notre sort, notre bonheur présent et aussi Le gage de notre félicite future. Notre âme, au point de perfection où elle est arrivée, est architectonique comme Dieu, et peut imiter dans son département et dans son petit monde ce que Dieu fait dans le grand. Avançons donc ainsi vers la perfection et le bonheur, puisque telle est notre destinée ; et sachons que les choses ainsi ordonnées sont faites d'une maniere qui passe nos souhaits. Car, bien que le paradis , comme l'ont conçu jusqu'ici les hommes. soit une chimère, parce que Dieu étant infini ne saurait être connu entièrement , néanmoins Dieu est toujours présent dans ce monde toujours uni à ses créatures, toujours en nous si nous savons l'aimer: le connaître , et le suivre. Le règne de la nature et le règne de la grâce ne sont pas deux règnes essentiellement· séparés. Il y a une harmonie pré-établie de tout temps entre ces deux règnes, entre Dieu comme architecte et Dieu comme monarque; en sorte que la nature mène a la grâce, et que la grâce perfectionne la nature en s'en servant. Suivons donc l'Idéal ou la Grâce, mais pour perfectionner la Nature. Sachons que notre bonheur ne consistera jamais et ne doit point consister dans une pleine jouissance , où il n'y aurait plus rien à désirer, et qui rendrait notre esprit stupide, mais dans un PROGRES PERPÉTUEL à de nouveaux plaisirs et à de nouvelles PERFECTIONS. Voilà, dis-je, une vue synthétique qui embrasse tout, le temps et l'espace, le monde physique et le monde moral, Dieu, l'homme et l'univers, et dont le nom est évidemment Doctrine de perfectibilité.  "

" Certes, Leibnitz lui-même et ses contemporains ne saisirent pas, aussi fortement que nous pouvons le faire aujourd'hui, cette face de la perfectibilité dans son système. La preuve, c'est qu'on y vit plutôt un optimisme qui justifiait le présent , qu'un optimisme idéaliste qui appelait la transformation de ce présent au profit d'un avenir meilleur. C'est ainsi que Shaftesbury, Bolingbroke, Pope, et Voltaire comprirent cette théorie (1). Nous pouvons même ajouter que, dans la patrie de Leibnitz, les derniers philosophes Allemands, inspirés directement ou indirectement de sa pensée, tels que Schelling et Hegel, n'ont pas suffisamment fécondé ce qu'il y avait à cet égard dans leur maître. Hegel, par exemple, n'a-t-il pas tourné l'optimisme à la justification du présent et du passé, au lieu d'en faire l'instrument d'un meilleur avenir, et la mobile d'un progrès perpétuel à de nouvelles perfections? Mais qu'importent ces déviations et ces erreurs? le progrès, la perfectibilité, en sont-ils moins gravés en caractères impérissables dans la théorie du maître qui a résumé en lui toute la science humaine au dix-huitième siècle, et dont les idées fécondes, s'échappant de son sein pour aller fertiliser les diverses branches· du savoir humain, ont nourri et poussé en avant toutes les sciences cultivées par cc siècle (2) ? "

Lessing.

La Doctrine de l'Humanité, la Doctrine qui nous éclaire, et qui éclairera tous les hommes, fit un nouveau et considérable progrès le jour où un disciple de Leibnitz , Lessing , un grand théologien qui était en même temps profondément imbu de l'esprit novateur du dix-huitième siècle, considérant la mutation qui s'était opérée, du Mosaïsme au Christianisme, dans le dogme des peines et des récompenses, dans le dogme de la vie future, comme l'indice d'une mutation nouvelle que l'avenir réservait à ce dogme, laissa tomber ces paroles : « Il viendra, il viendra certainement le jour de l'accomplissement, où plus l'intelligence de l'homme se sentira persuadée d'un avenir toujours meilleur, moins l'homme aura besoin d'emprunter à cet avenir des motifs pour ses actes; où il fera le bien parce que c'est le bien, et non parce qu'il s'y rattache des récompenses »arbitraires, qui n'avaient pour but auparavant que de fixer avec "plus de force son regard volage, pour lui faire reconnaître les récompenses intérieures et plus élevées qui accompagnent la vertu. "Il viendra certainement le jour d'un nouvel Evangile éternel, jour qui nous est promis même dans les livres élémentaires que la Nouvelle-Alliance nous a donnés. Peut-être même certains rêveurs des treizième et quatorzième siècles avaient-ils saisi une lueur de ce nouvel évangile éternel, et peut-être ne se trompèrent-ils qu'en ce qu'ils annoncèrent son apparition comme trop prochaine. Peut-être leur triple âge du monde n'était-il pas une idée si "creuse'; et certes ils n'avaient pas de mauvaises intentions, quand "ils enseignaient que la Nouvelle-Alliance allait vieillir comme avait fait l'Ancienne. Il subsistait toujours chez eux le même plan providentiel et le même Dieu, ou bien, pour leur faire parler ma "langue, le même plan d'éducation générale de l'espèce humaine. » Leur seul tort fut d'aller trop vite, et de croire qu'ils pouvaient transformer tout d'un coup leurs contemporains, à peine sortis de l'enfance, sans instruction et sans préparation, en hommes dignes de leur troisieme âge." (...) 

L'Humanité.

Nous avons recueilli les paroles sorties de la bouche de nos devanciers ; et ayant comparé ce que l'inspiration leur a\· ait dit avec cc que l'inspiration avait dit à Moïse, à Jésus, à tous les Prophètes, nous avons proclamé la vérité enseignée par Moïse , enseignée par · Jésus, enseignée par toutes les grandes religions, par tous les grandes philosophies, depuis Pythagore et Platon jusqu'à Leibnitz et Lessing, savoir: LA SOLIDARITÉ HUMAINE EST ÉTERNELLE, ET IL N'Y A PAS D'AUTRE VIE FUTURE QUE LA VIE DANS L'HUMANITÉ.

Descartes a dit: "Je pense, donc je suis".

Nous pouvons dire avec autant de certitude: " J'existe, donc l'Humanité existe."

En effet:

1.) Je ne suis pas un animal, une plante , un minéral. Je me distingue de tous ces êtres , et je me désigne par un nom particulier ; mais quand j'arrive à mes semblables , reconnaissant en eux les mêmes caractères qui font que je m'appelle homme , je les appelle hommes aussi. Donc l'Humanité existe. L'Humanité est la cause qui. fait que je me reconnais homme , et que je me retrouve dans mes semblables , comme je les retrouve en moi.

2° Comment suis-je venu sur la terre? Avant moi il y avait d'autres hommes sur cette terre; sans cela, je n'y serais pas. J'ai été engendré par l'union d'un homme et d'une femme, qui eux-mêmes avaient été engendrés de la même façon. Donc l'Humanité existe. Car y aurait-il des espèces, si l'espèce n'avait pas une réalité, en d'autres termes, s'il n'y avait pas d'espèces! Dieu, dit la Genèse, a créé tous · les êtres, chacun suivant son espèce. Les naturalistes n'ont pas renversé la Bible sur ce point, et ne la renverseront pas.

3° J'existe: qu'est-ce à dire? Je n'existe pas seul, j'existe avec les autres hommes et je sens qu'il y a entre eux et moi une vie commune. Je sais plus, je sais qu'il n'y a pas de vie pour moi sans eux ; que si j'étais seul sur la terre, et que je n'eusse jamais \'ecu en société avec des hommes, je serais au dessous de l'animal le plus stupide et le plus sauvage. Donc je vis par la communion avec mes semblables; donc ils sont l'objet de ma vie, comme l'être que je reconnais en moi en est le sujet. Mais l'objet peut-il se séparer du sujet dans le phénomène même de la vie? Donc entre eux et moi , il y a l' indivisible. Or je ne vis pas d'eux comme je vis du monde extérieur. Il n'y a que les méchants qui essayent de vivre aux dépens des autres hommes comme les hommes vivent du monde extérieur; mais cela s'appelle anthropophagie, crime, meurtre, usurpation , vol , et de cent autres noms qui révèlent la conscience humaine indignée; et cela ne constitue pas heureux, mais véritablement malheureux, ceux qui oppriment ainsi leurs semblables , c'est-à-dire au fond eux-mêmes. " ( ...) 

" Mais voyons, discutons avec cette science qui ne veut comprendre que ce qu'elle voit, que ce qu'elle touche. Chose étrange! c'est cette science qui va nous fournir elle-même un de nos meilleurs arguments.
En effet, quel est, depuis plusieurs siècles, le grand mot des savants et des philosophes? Quelle est la loi suprême où l'observation des phénomènes de la nature les a conduits? Quel sentiment se sont-ils formé du gouvernement de cette nature tant étudiée d'eux? Voici, comme tout le monde le sait, leur théodicée :
Point de Providence pour les individus, mais Providence pour l'espèce. La nature ne tient qu'à la conservation de l'espèce, fait tout pour celle conservation, et ne fait rien pour l'individu qu'en vue de l'espèce et de sa conservation.
D'un autre côté, pour ces savants, l'espèce n'est rien, ce n'est qu'un mot, un nom collectif. Dans la grande question qui occupa, trois siècles durant, l'esprit humain au moyen-âge, tous nos savants actuels, tous nos généralisateurs modernes auraient été nominalistes, c'est-à-dire auraient refusé une existence quelconque
aux termes universaux, formés, disent-ils, par abstraction.

Ne voit-on pas quelle immense contradiction, et combien est absurde cette intention qu'ils prêtent à la nature ou à la force intelligente qui gouverne le monde , de ne soigner que l'espèce , qui pourtant n'est rien, qui n'a aucune ,existence, et de ne se soucier en rien des êtres particuliers, des individus, qui seuls existent ? Bizarre providence, singulière théodicée !

Cette contradiction ne peut être levée qu'en admettant avec nous qu'il  y a une certaine identité entre l'espèce et l'individu , et que l'individu vit dans l'espèce et se développe avec elle. De cette façon seulement, la théodicée, agissant comme nos savants disent qu'elle agit, n'est pas en défaut. Car, en soignant l'espèce et sa conservation elle soigne les individus.  Il est curieux au surplus de rapprocher cette théodicée de nos savants modernes de l'antique théologie.  L'antique théologie, ayant à représenter Dieu créant le monde  disait que Dieu fit un couple de chaque espèce , et que tous les individus de chaque espèce sortirent ensuite de ce couple. Ainsi Adam et Eve contenaient le genre humain. Mais, de plus, Eve elle-même était , dans cette théologie , une émanation d'Adam. Ainsi le genre humain tout entier, c'était Adam, un seul être. On le voit, nos savants observateurs de la nature, avec leur généralisation suprême que là nature ne soigne que l'espèce, ne veut conserver que l'espèce, et ne soigne ou ne conserve l'individu qu'en vue de l'espèce, sont bien plus rapprochés qu'ils ne le pensent de l'antique théologie, qui pourtant , prise en elle-même, leur inspire tant de pitié. Donc, soit l'antique théologie qui disait : « Le genre humain est un seul être; Adam c'est le genre humain, le genre humain c'est Adam; » soit la science moderne qui dit : " La nature ne connaît que l'espèce, ne soigne que l'espèce, ne prévoit que la conservation de l'espèce, ne travaille que pour cette conservation, » soit, dis-je, cette science moderne, soit cette science antique se réunissent et s'accordent pour autoriser et confirmer l'opinion que nous soutenons. Supprimez notre explication, et la science moderne, avec sa prévoyance de la nature qui ne s'intéresse qu'à ce qui n'existe pas, est une absurde impiété; de même que le dogme antique, qui rapportait au premier homme et à son crime les souffrances du genre humain, n'a plus ni sens ni fondement. Elevons-nous donc plutôt à cette idée que si la nature, comme disent aujourd'hui les savants, soigne et conserve l'espèce, c'est parce que la rie des individus, et leur conservation à titre d'individus éternels, est attachée à l'espèce elle-même."

LBSKMC-CRIAEAU E3R3 : J'ai évoqué le rapport à Taguieff ( voire aussi Vincent Présumey ) dans " De Pierre Leroux aux Lumières du Rwanda ? Matrice de Réparations Eco-Socialiste 2021 " en ce que, en le projet Criaeau, nous nous accordons depuis une critique des " genocide studies " en ce que sont devenues les dites " études post-coloniales " et ou " études décoloniales " : or , si la critique peut abonder entre " sciences imaginaires " et activisme politique, elle se doit de comprendre combien le glissement épistémologique a néanmoins à voir avec les restes colonialistes d'états visiblement empêtrés jusque au dossier Rwanda " France complice de génocide " dans les restes de révisionnismes et impunité : or mais, c'est là que notre apport mesuré, tend à réintroduire l'épistémé Lerouxien pour comprendre en Histoire de la Philosophie et Interdisciplinarité ( Leroux point nodal 1 de réparations ) ce que le point nodal 2 - Lumières du RWANDA - de réparations, donne à observer des Champs de Reconstructions des savoirs actuels : non pas une critique en démolition bien que la topique " sex genre race " soit critiquable, mais bien un rapport autrement basé sur les fondamentaux scientifiques et philosophiques, qui reprend contre les anti-Lumières, et avec E Faye, Plisson, Lacoste et Cassirer Karegaye, une topique de correction interdisciplinaires entre abandon de vieux paradigmes et nouvelles épistémologies : là , à ces niveaux, les études " décoloniales " sont pour nous insuffisantes et mal fondées, bien que " non entièrement fausses ", et c'est justement une étude -recherche approfondie que d'en démontrer les tenants et aboutissants : Taguieff s'était arrêté à Leroux en Philosophie de l'Histoire et Histoire de la Philosophie, en ce que nous, nous reprenons avec E Faye, le Rwanda avec L Rey, L Frobert, B Viard, mais aussi K Carbone, JP Karegaye, Les Lumières du Rwanda , le Théâtre et Performances jusque en Psychanalyse avec Delgado : car remettre en Histoire de la Philosophie contre les anti-Lumières, la possibilité de la Matrice de Khun en 2021, renvoie aux Transformations en cours, de leurs insuffisances médiatico-scientifiques au REEL, Imaginaire et Symbolique, du Rapport Sciences, Philosophie, Droit et Interdisciplinarité : or si cela peut apparaître soit "généraliste", soit " perché ", nous sommes fondés en des études doctorales qui, rassemblées et synthétisées, donnent l'actuel du Champ de Reconstructions des Savoirs 2021,et un rapport aux Epistémologies et paradigmes différents qu'en " génocide studies " : d'où notre projet Criaeau en " genocide studies actualisées " , située entre Centre de Recherches et Université à la campagne en Eco-Socialisme, pour tant reprendre en Ethique appliquée, les déontologies fondées historiquement, que les Faits et Témoignages en ce qu'ils nous obligent et invitent très concrètement à tirer de conclusions et obligations encore aujourd'hui : ainsi de l'actuel en France d'un mouvement quant au dossier Rwanda qui - croisons les doigts - s'engagerait à mettre un terme à l'impunité et qui pourrait donc ramener nos études et recherches, au coeur d'une actualité, entre Leroux et le Rwanda, refondant notre rapport à l'Ethique, comme à une nouvelle Représentation de l'Histoire, dépassant l'actuel des surfaces médiatisées. Inachevé :https://www.cairn.info/revue-cites-2021-2-page-201.htm?contenu=resume&fbclid=IwAR2mCnMw-JZxW-GKv4OilJJVzAlSpWngskGD0zPhwpjmKAAhOCUJwhn6r-A

https://www.facebook.com/notes/652944722091655/

D'où la compréhension " contre Taguieff " qui soutient Galton, que Rostand réfléchit " après malthus " et la question de la surpopulation posée : or , contre Malthus et l'eugénisme primaire de Malthus, LEROUX pose l'Epistéméologie JUSTE, avant Rostand et Galton : que donc des taguieff soit prisonniers entre Galtonb et la critique décoloniale nous renvoei TOUJOURS à Leroux, contre Mathus et avaec les Lumières du Rwanda en éco-socialisme, aujourd'hui en 2021 : cette topique se doit d'être comprise en Heidegger , conséquentielle de l'opposition à Leroux entre Hegel et Marx Engels en Philo allemande avilie, et LEROUX en Grand Epistémologue en la Revue Sociale contre malthus, fourier, renan, cousin, et contre proudhon et hugo même...

LBSKMC-CRIAEAU E3R3 : Consultez Criaeau.org

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